3 raisons pour la moto électrique
Et une annonce importante à la fin de cet e-mail
Temps de lecture : 15 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 97 pionniers.
Salut à tous,
Quand je ne roule pas sur ma moto et que je dois prendre ma voiture, j’aime en profiter pour écouter la radio.
Car voilà, quitte à perdre du temps dans les bouchons toulousains, autant le faire en s’abreuvant de nourriture pour l’esprit. Et en début de semaine, je suis tombé sur une émission qui faisait réaction aux propos de notre ministre du logement, Emmanuelle Wargon.
Vous savez, celle dont on n’avait jamais entendu parler jusqu’à ce qu’elle affirme que la maison individuelle est un non-sens écologique.
N’ayant pas étudié la question, j’étais heureux de tomber sur cette émission.
Je me suis dit qu’il serait intéressant d’écouter des experts sur le sujet, qui m’aideraient à me faire un avis un peu plus étoffé sur le lieu de logement des français.
Mais j’ai immédiatement été déçu par ce que j’ai entendu.
Très rapidement, j’ai trouvé que l’expert du sujet qui avait été invité était trop agressif, trop dogmatique et ne donnait aucun chiffre.
Strictement aucun.
J’en veux pour preuve un moment de l’interview qui m’a effaré, où l’invité dit quelque chose comme ça :
“Depuis 30 ans, l’étalement urbain a beaucoup augmenté.”
Puis il utilise cette information comme prémisse d’un argumentaire dans lequel il finit par prouver que la maison individuelle, c’est bien.
Mais sait-il que “beaucoup”, ça ne veut strictement rien dire ?
Ce n’est en aucun cas une information valable sur laquelle s’appuyer pour dérouler un argumentaire convaincant. Et tout ce qui est dit après n’a aucune valeur logique, et aucune capacité réelle de persuasion autre que l’argument d’autorité.
Étonné de cette faible qualité argumentative et par le peu d’enseignement que j’allais tirer de son intervention, j’ai fini par comprendre : l’invité inconséquent était en réalité le président du syndicat des maison individuelles.
Son objectif était donc clair : défendre sa paroisse.
Et si possible, lancer quelque piques bien senties à la ministre du logement — qui se paie le luxe d’habiter dans une belle maison individuelle elle-même.
Cet épisode m’a marqué.
Car j’ai trouvé cet homme ridicule. Pas dans le mauvais sens du terme, mais celui du Bourgeois gentilhomme de Molière. C’est-à-dire le ridicule de celui qui porte des perruques et qui se pavane, sûr de son bon goût et de ses bonnes intentions.
Alors que dans le même temps, il n’avait aucune idée de la réalité chiffrée.
Ou du moins, les seuls chiffres qu’il avait en sa possession étaient ceux des constructeurs de maisons individuelles, qui souffrent nécessairement d’un biais de sélection.
Le problème quand on ne connaît aucun chiffre objectif, c’est que notre parole ne compte pas.
Car nos raisonnements ne reposent sur rien d’autre que sur une présomption de bonté : “je suis un homme bon, je travaille dans les maisons individuelles, les maisons individuelles sont donc bonnes pour l’humanité”.
C’est peut-être le cas, je n’en sais absolument rien.
D’ailleurs, j’aimerais bien avoir ma maison individuelle et mon petit terrain.
Mais dieu sait que cet homme n’aura rien amené à mon cheminement. Et c’est terrible, car c’est une preuve supplémentaire que si on veut éviter les biais, on ne peut souvent faire confiance à personne d’autre qu’à soi-même — même quand le sujet en question sort de notre domaine d’expertise.
Cet épisode m’a drôlement marqué.
Car j’ai réalisé qu’il était possible que je devienne cet homme-là un de ces jours. Embourbé dans mes convictions, persuadé de ma bonne foi, croyant par conséquent que mes convictions sont nécessairement bonnes.
J’ai donc décidé de m’en prémunir.
Et pour ce faire, j’ai passé ma semaine à confronter mes a priori à la réalité des chiffres. J’ai essayé de clarifier ma vision de la mobilité pour les 20 prochaines années, afin de répondre à une question qui m’obsède : pourquoi la moto électrique ?
J’ai trouvé 3 réponses.
D’abord, pour réduire l’impact climatique des motos
La première réponse est parfaitement évidente.
Il suffit de constater qu’on entre dans un siècle où chaque action que nous ferons aura un impact climatique à mesurer.
Et pour cause : si on en croit la première partie du dernier rapport du GIEC (2021), il faut arrêter dès aujourd’hui l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre si on veut limiter le réchauffement planétaire à moins de 2 degrés à la fin du siècle.
(C’est la courbe en bleu clair qu’on doit viser, qui décrit les émissions de gaz à effet de serre pour le scénario où la température n’augmentera pas de plus de 1,9 degrés en comptant les incertitudes.)
Rude programme.
Mais ce n’est pas tout.
Car non contents de stopper la hausse, nous allons aussi devoir baisser nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2025. Et elles devront baisser d’autant plus sérieusement que nos objectifs climatiques seront élevés.
Si on veut s’y tenir, c’est simple : il faut que tout le monde fasse un effort.
Les motos thermiques qu’on utilise aujourd’hui ne feront donc pas exception à cette règle.
Mais forcément, ça doit nous questionner : est-il bien utile de se concentrer sur la baisse de l’impact climatique des motos ?
Et est-ce qu’il ne serait pas plus efficace de se concentrer sur des moyens de transport plus massivement utilisés ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord faire un état des lieux.
Et un état des lieux chiffré, pour ne pas reproduire les erreurs de l’homme à bigoudis et poudre blanche que j’ai décrit plus haut.
J’ai donc cherché une information qu’on ne trouve nulle part sur internet : quelle est la part des motos thermiques dans les émissions de CO2 françaises (à défaut des émissions de gaz à effet de serre, en CO2eq) ?
On ne trouve pas cette information car elle n’intéresse personne.
Mais on peut facilement l’estimer :
Grâce à l’enquête de la SDES que je cite constamment et qui a sondé l’usage français de la moto en 2012, je sais que la France compte quelques 3,8 millions de motos en circulation (on évince donc les motos oubliées dans le garage).
Je connais aussi la répartition des ces motos selon les différents segments (cyclomoteurs, 125, <750 et >750), la consommation des motos appartenant à ces différents segments et les kilomètres roulés par ces différents segments.
Si bien qu’à la fin, je sais qu’en 2012, 660 373 108 litres d’essence ont été brûlés pour faire fonctionner les fières motos des français.
Il me reste alors à savoir que la combustion d’un litre d’essence libère 2,64 kg de CO2, pour estimer qu’en 2012, 1,58 mégatonnes de CO2 ont été libérées par la combustion des bécanes françaises.
Si je fais l’hypothèse que ce chiffre n’a pas évolué depuis 2012 et que je jette un coup d’œil au dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat, le couperet tombe : les motos thermiques ne représentent que 1,16% des émissions de gaz à effet de serre des transports français (136 MT CO2eq).
C’est tout petit.
Surtout quand on sait que les voitures sont quant à elles coupables de 53% des émissions de gaz à effet de serre rejetées par nos transports.
Ce qui, pour un statisticien clairvoyant, est une preuve éclatante : les voitures représentent 53% des émissions de gaz à effet de serre des transports, c’est donc sur elles que doit porter notre effort.
Pas sur les pauvres 1,16%.
Mais en tant que non statisticien, je réponds par un double “non”.
Le premier non est enfantin : toutes les économies sont bonnes à prendre.
Il serait aberrant de refuser de travailler sur les zones minoritaires d’émissions, car ajoutées les unes aux autres, elles permettent d’aboutir à 100% (car oui, 53% n’est pas égal à 100%).
Quant à l’autre non, c’est un peu plus subtil.
Et c’est en lui que repose la deuxième réponse que j’ai trouvée pour expliquer le besoin des motos électriques.
Ensuite, la fabrication de plus petites batteries
Entendons-nous bien : si les voitures représentent 53% des émissions de gaz à effet de serre françaises, il faut évidemment appuyer sur leur curseur pour baisser leur score.
Je suis tout à fait en accord avec le statisticien clairvoyant sur ce point.
Mais j’aimerais ajouter une nuance importante, qui est le cœur de ma deuxième réponse.
Pour introduire cette nuance, faisons l’hypothèse qu’il n’y ait aucune autre solution que les voitures électriques pour réduire l’impact climatique des voitures que nous utilisons aujourd’hui.
Et admettons que dès demain, toutes les ventes de voitures soient électriques.
On sait qu’en France, il se vend environ 2 millions de voitures neuves tous les ans.
Si on regarde les ventes de voitures électriques actuelles, on observe que 3 voitures électriques se partagent le podium, de très loin :
la Tesla Model 3,
la Renault Zoé,
et la Peugeot e-208.
On peut donc faire l’hypothèse que si toutes les voitures qui étaient achetées dès demain étaient électrique, alors elles ressembleraient à ces trois-là.
Si on suit ce scénario, quel serait l’impact climatique de ces 2 millions de voitures électriques ?
Pour le savoir, je vais faire l’hypothèse que la production de la batterie représente la moitié des émissions de gaz à effet de serre de la voiture (c’est la proportion qu’on retrouve globalement un peu partout) :
Ces 3 voitures ont des batteries de 50 kWh en moyenne, et la production de leur batterie coûte en moyenne une centaine de kgCO2eq par kWh.
Ce qui porte le total de chaque batterie à 5 000 kgCO2eq (ce qui est rond), et donc de chaque voiture électrique à 10 000 kgCO2eq (ce qui est encore plus rond).
Ainsi, avec 2 millions de ventes par an, la fabrication des voitures électriques neuves serait responsable de 20 mégatonnes d’émissions de CO2eq.
Ce chiffre est effarant.
Car ça représente 27% des émissions du parc automobile français actuel, alors que ces 2 millions de ventes ne représenteraient que 5% des 38 millions de voitures particulière qui roulent en France.
À ce chiffre, on doit ajouter l’impact climatique de l’usage des voitures électriques.
Mais par chance, ce chiffre est négligeable grâce à la très faible intensité carbone de l’électricité française. Avec un kilométrage annuel moyen de 12 000 km, l’électricité utilisée pour faire rouler les 2 millions de voitures électriques ne produit que 0,025 mégatonnes de CO2eq.
Alors quoi ?
Est-ce que ça veut dire que les voitures électriques sont une aberration ?
Évidemment non.
Car on ne mesure pas l’impact climatique d’une voiture sur la seule année de son achat. On le mesure sur toute sa durée de vie. Et même avec une batterie de 100 kWh, la voiture électrique finit par émettre moins qu’une équivalente thermique.
Mais ça montre que si on veut passer d’un parc de 38 millions de voitures particulières thermiques à 38 millions de voitures particulières électriques, ça va commencer à coincer.
On va en effet passer par une phase de transition, où on devra fabriquer ces 38 millions de voitures électriques.
Et si les chiffres n’évoluent pas, la fabrication de ces 38 millions de voitures sera la cause de 380 mégatonnes de CO2eq.
Soit plus de 5 ans des émissions annuelles dont les voitures sont déjà coupables.
Ce qui implique qu’on ne pourra pas tenir l’objectif de stabiliser puis baisser la part des émissions de gaz à effet de serre des voitures en France.
La solution est alors très simple.
Il faut que ces 38 millions de voitures particulières diminuent, pour être remplacées par des solutions dont la fabrication est moins émettrice.
Je pense par exemple aux vélos ou aux voitures légères.
Et je pense évidemment aux motos : c’est enfantin, mais quand on sait qu’une moto électrique n’a besoin que de 9 kWh pour de batterie pour répondre à 80% de l’usage quotidien d’une Clio, on se dit qu’il est dommage de produire 50 kWh de batterie.
Elle est là, la nuance dont je vous parlais.
Il faut que les voitures d’aujourd’hui deviennent des motos, des vélos, des quadricycles légers, et que sais-je encore.
Voilà donc pourquoi les motos électriques sont importantes.
Elles vont permettre de diversifier les solutions de mobilité électrique, en réduisant la taille de la batterie nécessaire pour se déplacer.
De cette manière, on pourra imaginer que les ménages ayant plusieurs véhicules motorisés (36,5% des français) n’auront qu’une voiture électrique (plutôt que 2 voitures aujourd’hui) et une solution plus agile et légère en complément.
À ce moment-là, on pourra espérer réduire pour de bon les émissions de gaz à effet des voitures, puisqu’on aura moins de voitures électriques à construire.
Enfin, un prix mécaniquement moins cher
Cette troisième réponse est directement liée à la deuxième.
Aujourd’hui, ce qui coûte le plus cher dans un véhicule électrique, c’est sa batterie. Si on réduit sa taille, on réduit donc son prix.
Et on semble l’oublier, mais garantir des véhicules électriques accessibles est une condition sine qua non de la baisse de l’impact climatique des transports français.
Pour cause, si les véhicules électriques ne sont pas massivement adoptés, on ne recueillera que le pire des deux mondes :
Ceux qui n’ont pas les moyens continueront de rouler en thermique jusqu’à l’interdiction de ces motorisations, quitte à ne plus rouler dans les centres urbains qui vont se fermer aux voitures thermiques les uns après les autres ;
Et seuls ceux qui ont les moyens de s’acheter une voiture électrique se les offriront, avec probablement une nouvelle voiture électrique neuve tous les 5,6 ans (c’est la durée moyenne de détention d’une voiture), libérant les 10 tonnes de CO2eq habituelles.
Si ce scénario se produit, il y a peu de chance qu’on atteigne les objectifs climatiques fixés.
Je ne vois donc qu’une solution : promouvoir les motos électriques à des prix contenus, grâce à une batterie plus petite que ce qui se fait chez les voitures électriques.
On se donnera ainsi la chance de massifier l’accès à la mobilité électrique. Ce qui permettra de baisser l’impact climatique des transports, et évitera d’enfermer les plus modestes dans une impossibilité infernale de se mouvoir.
La moto électrique, en ça, est une solution qui me paraît immédiatement viable.
Car elle ne demande pas de réinventer l’eau chaude, avec des designs trop en rupture. La moto fait déjà partie de l’imaginaire collectif, et il ne sera jamais honteux de rouler sur une bécane, aussi électrique soit-elle.
C’est d’ailleurs pour cette raison que je pense que la moto électrique ne doit pas seulement s’adresser aux motards. Elle doit s’adresser à tout le monde, car elle permet d’offrir une agilité imbattable et un confort certes inférieur à la voiture, mais qui reste raisonnable.
Alors voilà.
Je suis maintenant paré.
Car si d’aventure je me retrouve au milieu d’une émission de radio où je dois expliquer pourquoi je crois à la moto électrique, je saurai quoi répondre.
Et je le ferai avec un peu plus de rigueur que le président du syndicat des maisons individuelles. Je tiens donc à le remercier : même s’il ne m’a pas aidé à me faire un avis intéressant sur son sujet d’expertise, il m’a permis d’étoffer mon sujet d’obsession.
Il n’y a plus qu’à faire advenir cette réalité favorable aux motos électriques.
Mais par bonheur, j’ai reçu deux bonnes nouvelles cette semaine : Mahle et INDRA vont bientôt m’envoyer le moteur et les modules de batteries.
Je vous raconte tout ça très prochainement.
Bon dimanche,
Julien