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Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 207 pionniers.
Salut à tous,
Deux fois par an, Hans et moi suivons une tradition contraire à ma nature.
Une tradition que nous avons instaurée depuis le début de cette aventure, et qui me provoque des hauts le cœur presque systématiquement. Si je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai horreur de cette tradition, c’est tout de même la soupe à la grimace à la maison quand je vois arriver son occurrence bi-annuelle.
Et comme elle coïncide avec les solstices, cette tradition fastidieuse était programmée pour la semaine qui vient de s’écouler.
Cette semaine était en effet notre traditionnel bilan semestriel. Un bilan que nous avons d’ailleurs partagé quelques jours plus tard avec les Pionniers présents au 26e événement du Club des Pionniers, organisé mercredi dernier.
Pourquoi est-ce qu’un simple bilan est si difficile pour moi ?
Simplement car ça demande du temps, beaucoup de temps.
Ça demande du temps pour reprendre tout ce qui a été fait depuis 6 mois, ça demande du temps pour se remémorer de l’état d’esprit qui était le nôtre un semestre auparavant, et ça demande du temps pour tirer la sève de ce que nous avons appris.
Or du temps, j’en manque.
Ou plus précisément, j’ai tout sauf envie d’investir le précieux temps que nous avons à préparer ce bilan scrupuleusement.
Quand vient le moment de faire cet exercice éreintant, je procrastine donc.
Je passe en mode “tunnel” en me consacrant à une autre tâche sur laquelle je dois avancer (ce qui me vaut d’avoir une productivité affolante), et je repousse le moment redouté du moment où je dois m’asseoir devant l’écran blanc.
Mais bien assez vite, Hans me rappelle à mes obligations.
Avec le sourire que vous lui connaissez, il me serine qu’il serait bon que je prenne le temps de dresser le bilan des 6 derniers mois. Et il réussit toujours à me canaliser pendant 1 heure avec un appel vidéo dont il a le secret, après une longue journée de travail.
Au début de ces appels bi-annuels, je fais la moue et je regarde ailleurs avec ma mauvaise volonté caractéristique.
Mais sa patience finit toujours par éroder mon humeur détestable.
Et invariablement, ce bilan accouche de conclusions si importantes dans la vie de notre aventure que je bénis Hans d’avoir cette discipline de fer concernant notre tradition.
La discussion que nous avons eue cette semaine avec Hans — et la restitution de cette discussion que nous avons faite lors du dernier événement du Club des Pionniers — n’a pas fait exception.
Car grâce à elle, nous avons tiré 3 conclusions au semestre écoulé, ainsi qu’1 apprentissage capital.
Un apprentissage qui change complètement notre état d’esprit depuis quelques semaines.
C’est éprouvant, terriblement
La première conclusion que nous avons tirée est la plus personnelle.
Car cette conclusion traite d’un sujet que nous abordons très peu dans les discussions que nous avons avec vous. Peut-être parce que c’est un sujet tabou, ou peut-être parce que nous ne nous autorisons pas à laisser transparaître nos moments de creux.
Quoi qu’il en soit, cette conclusion s’est imposée à nous, comme un signal lumineux aveuglant.
Et pour cause : les 6 derniers mois qui viennent de s’écouler ont été les plus éprouvants de notre vie, pour nous 2. Vraiment, nous sommes passés par des moments de fatigue extrême, et nous nous sommes investis sans relâche.
Le problème, c’est que c’était aussi le cas du semestre précédent.
Car les 6 mois qui ont précédé les 6 mois que nous clôturons cette semaine étaient eux aussi les plus difficiles de notre existence.
Quand on en arrive à cette escalade de la difficulté, c’est un signe très marquant qu’on est sur la mauvaise pente. Une pente absolument insoutenable, où chaque nouvelle période nous met plus en danger que la précédente.
Je vous ferai peut-être un récit plus précis de ces événements dans un rapport hebdomadaire dédié.
Mais ce qu’il est déjà possible de savoir, c’est que nous avons cessé cette surenchère.
Car le rythme que nous nous sommes imposé pendant ce semestre était au-delà de ce que nous pouvions fournir chacun de notre côté. Et si nous nous brisons la santé, nous ne parviendrons jamais à faire vivre Ambre jusqu’à remplir l’objectif visé.
Sans compter que rien ne justifie de se casser la pipe, même la plus belle des aventures.
Nous avons donc appris notre leçon.
L’arrivée de
dans l’équipe nous a permis de déléguer une partie du travail de conception ;Et je vais enfin passer à temps plein chez Ambre en tant qu’ingénieur de conception mécanique (puisqu’il faut bien un titre).
Notre vie personnelle a donc été déchargée, pour enfin repartir sur un rythme soutenable. Un rythme qui préservera notre santé sur le long cours.
Le Club des Pionniers est tellement plus qu’une association de motards
La deuxième conclusion réside dans la vie de l’association du Club des Pionniers.
Depuis sa création, le Club des Pionniers a connu quelques évolutions. Alors qu’il était au début un rassemblement de quelques dizaines de passionnés de moto, le Club des Pionniers a mué au fil des mois.
Si bien que tout naturellement, sans le réaliser, le Club des Pionniers est devenu autre chose qu’une simple association de motards.
Et si c’est tout à fait imprévu, je dois dire que ça ne nous déplaît pas du tout.
Une preuve de cette transition est dans les sujets que nous avons abordés ensemble dernièrement.
Rendez-vous compte :
Nous avons traité d'Open-Source,
de la vignette Crit-Air,
du prix des véhicules électriques,
de la courbe de décharge d’une batterie,
de la production du lithium,
de la confrontation entre le Toyotisme et le Teslisme,
etc.
Tous ces sujets sont plutôt en rupture avec ceux que nous traitions au début du Club des Pionniers.
Car auparavant, la moto électrique était le centre de toutes nos discussions.
Alors qu’aujourd’hui, nous avons une réflexion beaucoup plus générale sur la mobilité. Nous ne sommes plus des motards qui parlent de motos, mais nous sommes des passionnés (motards ou non) qui discutent du futur de la mobilité.
D’ailleurs, si la moto n’est plus exactement le centre de nos discussions, ce n’est pas parce que nous n’y croyons plus.
C’est strictement l’inverse !
La moto électrique est une solution dans laquelle nous croyons tellement qu’il était nécessaire d’étudier la mobilité dans son ensemble pour comprendre comment cette moto électrique s’insère dans le paysage.
Ce faisant, nous nous construisons une compréhension beaucoup plus fine des enjeux de la mobilité de demain. Nous développons une vision systémique, ce qui est la seule manière possible de résoudre un problème aussi complexe que celui auquel nous nous sommes attaqués.
L’évolution du Club des Pionniers est donc une nécessité.
Une nécessité si évidente qu’elle nous a paru parfaitement naturelle.
Le Club des Pionniers n’est donc plus seulement un groupe de discussion sur les motos électriques. Il est devenu un groupe de réflexion sur la mobilité en général. Et cette évolution nous ravit, car elle rend notre collaboration plus riche et excitante.
Le calculateur est central
Enfin, nous avons dressé le tableau des avancées techniques de notre prototype lors des 6 derniers mois.
6 mois marqués par la découverte du rôle gigantesque d’un des plus petits composants de notre groupe motopropulseur.
Nous le savons : nous devons concevoir un groupe motopropulseur 10 fois plus pertinent que ceux qui sont aujourd’hui sur le marché. Et pour ça, l’utilisation de modules de batterie de seconde vie et d’un moteur à induction ne suffira pas.
Nous devrons creuser beaucoup plus profondément.
Car les autres constructeurs ne nous attendent pas pour améliorer leurs groupes motopropulseurs. Ceux qui sont sur le marché ne sont pas représentatifs de ceux qui seront sur le marché dans quelques mois, ou dans quelques années tout au plus.
Nous devons donc pousser tous les curseurs, à fond de cale.
Et nous devons nous différencier sur un axe aujourd’hui très peu exploité par les autres constructeurs de véhicules électriques intermédiaires (donc tant les motos que les scooters, les tricycles et les quadricycles).
Cet axe, c’est celui de l’intelligence embarquée.
Aujourd’hui, contraints un impératif économique — celui de lancer sur le marché leurs véhicules électriques le plus rapidement possible — les constructeurs font le choix délibéré de promulguer des groupes motopropulseurs aux capacités cognitives limitées.
Ils le font car ils n’ont pas le temps d’attendre.
Mais en procédant ainsi, ils dégradent l’expérience d’utilisation de leurs véhicules électriques. Je pense par exemple à Zero Motorcycles, dont les motos embarquent une intelligence minimaliste qui vaut à leurs clients certaines expériences désagréables.
Au hasard, une mauvaise interprétation de l’état de charge ou une expérience de recharge désastreuse (ceux qui étaient présent au 26ème événement s’en rappelleront sans doute).
Nous devons donc nous saisir de ce sujet.
Et pour y parvenir, le calculateur central de notre groupe motopropulseur (qui joue le chef d’orchestre) doit être conçu avec une exigence maximale. Car c’est en lui que réside toute la performance et l’intelligence de notre groupe motopropulseur.
C’est donc sur lui que je concentre une grande partie de mes efforts, pendant que Clément avance sur l’interopérabilité des autres composants du groupes motopropulseurs.
Sans surprise, cet effort de conception prendra du temps.
Mais nous savons pertinemment que pour qu’un nouvel acteur fasse sa place sur un marché compétitif, il doit être au moins 10 fois meilleur que ses concurrents implantés sur de nombreux aspects.
Nous prendrons donc le temps nécessaire pour y parvenir.
Ambre doit vivre aussi longtemps que possible
En réfléchissant avec Hans à ce que nous allions présenter pendant l’événement de mercredi dernier, nous avons décidé d’isoler les 3 conclusions que je viens de citer.
Mais en les listant, nous avons identifié une conclusion plus globale, qui agit comme une lame de fond sur ces 3 conclusions. Cette conclusion globale réside dans un impératif : Ambre doit vivre longtemps.
La raison de cette longévité nécessaire est inscrite dans le code génétique d’Ambre.
En effet, au moment de rédiger les statuts d’Ambre, nous avons veillé à préciser dans l’objet social de l’entreprise que son rôle était d’accoucher d’un impact positif sur la mobilité :
“La Société entend générer un impact social, sociétal et environnemental positif et significatif dans l’exercice de ses activités.
En particulier, les objectifs sociaux et environnementaux que la Société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité, au sens du 2° de l’article L. 210-10 du Code de commerce, sont les suivants : contribuer au développement durable, à la transition énergétique, à la mise en avant du territoire et au respect des humains qui y travailleront.
Dans le cadre de cette démarche, Président et Directeur Général, s'engagent à prendre en considération (i) les conséquences sociales, sociétales et environnementales de ses décisions sur l’ensemble des parties prenantes de la Société, et (ii) les conséquences de ses décisions sur l’environnement.”
Ici, le calcul est simple.
L’impact positif qu’Ambre engendrera sur la mobilité sera proportionnel à sa durée de vie.
Si Ambre meurt au bout de quelques années, son impact aura été négligeable.
Alors que si Ambre vit encore en 2050, son impact aura nécessairement été supérieur.
Nous devons donc nous soumettre à un impératif catégorique : durer.
Et si Ambre ne dure pas, il ne servira à rien d’avoir conçu un groupe motopropulseur aussi pertinent et performant que celui sur lequel nous travaillons. Car si Ambre ne dure pas, nous n’aurons pas rempli la mission que nous nous étions fixée initialement.
En ça, Ambre aura été un échec.
L’aventure que nous construisons tous ensemble est donc une aventure au long cours. Une qui durera au moins aussi longtemps que le voyage d’Ulysse loin de ses terres.
Plusieurs décennies, c’est le minimum. Un siècle, c’est l’objectif.
C’est certes moins exaltant qu’un sprint foudroyant.
Mais c’est une épopée. Une épopée longue et difficile, pas toujours trépidante, et invariablement passionnante. Une épopée digne de celle d’Ulysse, où l’on ne doit pas oublier qu’entre sa rencontre douloureuse avec le cyclope Polyphème et l’épisode tentant des sirènes, il a aussi connu des moments de creux et d’absence d’avancée.
Alors pendant que d’aucuns s’impatientent de nous voir entrer sur le marché, nous allons continuer d’exercer notre patience.
Car à la fin, nous savons que le jeu en vaut la chandelle.
Bon dimanche,
Julien