Comment faire une "belle" moto ?
Il suffit de demander à Triump, Royal Enfield et Ducati
Temps de lecture : 10 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 209 pionniers.
Salut à tous,
Dans le rapport hebdomadaire que je vous ai envoyé dimanche dernier, je faisais référence au prototype en mousse qui se dresse dorénavant dans mon atelier.
Je vous l’ai montré, au détour de l’introduction.
L’intérêt de ce prototype est d’une transparence totale : son rôle consiste à matérialiser les premières ébauches du design et de l’ergonomie de notre moto électrique.
Et il a déjà porté ses fruits car comme nous le verrons un peu plus loin, cet improbable prototype en mousse a permis de tirer plusieurs conclusions sur la silhouette de notre prototype industriel.
Mais ce prototype en mousse n’a pas eu ce seul bénéfice.
Car il nous a amené à nous poser pour la première fois une question que tous les fabricants de motos se posent : comment devrons-nous procéder pour que notre moto soit belle ?
Ou plus précisément : comment pourrons-nous nous assurer que notre moto soit à la fois performante, accessible et désirable ?
Les leçons design de Royal Enfield, Ducati et Triumph
Pour se positionner sur l’échelle du beau, il est toujours bon de commencer par regarder comment se positionnent les autres constructeurs.
J’ai donc logiquement consacré une après-midi de ma semaine à la recherche de ce qui se faisait chez nos concurrents.
Et vous ne me croirez peut-être pas, mais j’ai trouvé beaucoup d’informations sur le processus design de 3 éminents constructeurs : j’ai nommé Royal Enfield, Ducati et Triumph.
Moi qui me plaignait de l’opacité des grands constructeurs, me voilà contredit.
Ou peut-être pas tant que ça en réalité.
Car toutes les informations que j’ai dégotées sur le processus design de ces 3 grands constructeurs viennent soit d’un média d’amateurs d’automobile, soit d’une agence design spécialisée dans la moto. Alors rassurons-nous, l’ère de la transparence n’est pas encore arrivée chez ces mastodontes !
Cela étant posé, venons-en aux faits : comment font-ils pour que leurs motos soient si belles ?
Je veux dire que, si on peut douter de la qualité mécanique de chacun de ces 3 constructeurs qui ont tous leurs détracteurs, tout le monde s’accorde pour reconnaître leur sens du beau.
Il ont donc forcément développé une méthode pour produire de belles motos.
Eh bien, de ce que j’en comprends, ils suivent tous un processus assez similaire.
La première étape de ce processus consiste toujours à demander à des dessinateurs géniaux de tracer les traits de leur moto rêvée. Tout en veillant évidemment à les guider avec un cahier des charges précis dont l’objectif est d’éviter tout dérapage incontrôlé.
Mais lorsque le cadre créatif a été fixé, ces dessinateurs talentueux ont carte blanche.
Ils se consacrent alors à crayonner des silhouettes de motos par dizaines jusqu’à épuisement de leur sève créative. Ils ont tous leur patte personnelle et des inspirations diverses, comme on peut l’observer dans ce chapelet de croquis.
Après un temps d’exaltation créative qui fait rêver tout amateur de moto, chaque dessinateur finit par présenter ses croquis à la tête pensante du design de la marque. Son rôle : trancher pour une silhouette parmi les dizaines proposées.
“Ça sera… cette moto !”
Cette phase de bouillonnement artistique est souvent appelée “concept design”, puisque c’est pendant cette phase que chaque moto verra son concept figé dans le marbre.
Cette phase est commune à tous les constructeurs.
La seule source de différence que l’on peut trouver entre les constructeurs est sans doute dans le nombre de dessinateurs qui s’attablent pour proposer leurs idées de design et la proportion de sous-traitance du design. Mais il est marquant de constater que vraiment, tous les processus de design moto en passent par là.
La phase qui succède à cette agitation prolifique est elle aussi très codifiée : c’est celle communément décrite comme le “développement design”, qui consiste simplement à transformer le croquis qui a été choisi par le directeur design en une moto en taille réelle.
Mais comme on est encore au stade du design, cette moto est spéciale : elle est faite d’argile.
Passé l’étonnement de découvrir l’usage improbable de ce matériau dans le design d’une moto, on comprend très vite pourquoi cette roche meuble est reine chez les constructeurs.
C’est précisément car elle est meuble.
Elle est peu chère, facilement manipulable et suffisamment rigide pour supporter son propre poids. Elle permet donc de bâtir en quelques heures la silhouette d’une moto en taille réelle, et d’y travailler dessus jusqu’à pleine satisfaction.
On commence donc par un prototype en argile tel que celui que vous pouvez voir au-dessus, qu’on affine petit à petit, et qu’on améliore en intégrant les composants validés par l’équipe de conception mécanique.
Il y a donc des échanges constants entre l’équipe design et l’équipe de conception.
Si bien qu’après quelques mois de travail, le prototype en argile se métamorphose. Il s’équipe petit à petit de tous ses composants mécaniques (cadre, groupe motopropulseur, amortisseur, etc.) et seuls les composants non mécaniques restent encore en argile.
C’est ce prototype qui marque la fin de la deuxième étape du développement design.
Car la suite du processus design consiste en une étape de finalisation, où tout ce qui est encore en argile se transforme pour se draper de matériaux plus crédibles. Exit donc le réservoir en argile, le bras oscillant en argile, et les phares en argile.
Pour ça, on en passe souvent par un scan 3D du prototype.
Son but est de fournir des fichiers 3D (reconstituées à partir du scan) aux différents fabricants partenaires qui se hâteront de produire les pièces manquantes aux bonnes dimensions.
Il ne reste alors plus qu’à remonter les pièces envoyées par les fabricants partenaires sur le prototype.
Et paf : le prototype de design est finalisé.
Où en sommes-nous de ce processus design ?
En résumé, le processus de design que l’on retrouve chez les grands constructeurs moto — et dont nous devrons nous inspirer — est très linéaire :
Il commence par tout un bouillonnement créatif, où l’idéation est reine sur la base d’un cahier des charges bien posé.
Ce processus est suivi par une phase de développement design, où l’on part d’une maquette en argile pour aboutir à une moto crédible mécaniquement, mais dont il reste encore quelques pièces de design en argile.
Enfin, ce processus se conclut par une phase de finalisation, entamée par un scan 3D du prototype qui permet d’aboutir à un prototype design quasiment homologable.
En somme, le processus design répond grossièrement à cette cartographie :
À la lecture de cette cartographie, une question nous brûle nécessairement les lèvres : où nous situons-nous sur la flèche verte ?
Eh bien, aux tout débuts.
Nous en sommes à l’étape des croquis par dizaines. Car vous ne l’aurez pas manqué, il nous manque le détail qui donne le la à tout le processus design : le cahier des charges design. Celui-là même qui cadre les croquis proposés par les dessinateurs géniaux employés par les grands constructeurs motos.
Par exemple, c’est ce cahier des charges qui impose la position de conduite que l’on vise avec notre moto.
C’est aussi ce cahier des charges qui fixe la géométrie de la moto (empattement, taille des roues, angle de chasse, déport de fourche).
Enfin, c’est ce cahier des charges qui précise l’intention esthétique que l’on veut donner à notre moto.
Nous devons donc écrire ce cahier des charges design — définir chacune des lignes qui viendront définir la silhouette de notre prototype industriel.
C’est vous dire combien les prochaines semaines vont être passionnantes. Et le prototype en mousse que je vous présentais au début de ce rapport — réalisé par Paolo, un Pionnier lui-même designer — est exactement la première étape de l’écriture de ce cahier des charges.
Car c’est grâce à ce prototype en mousse que nous avons pu tester une première position de conduite, qui est satisfaisante mais certainement encore améliorable.
Et c’est aussi grâce à lui que nous avons déjà pu identifier que l’assemblage le plus simple de nos modules de batteries (empilés 2 par 2) exigeait l’utilisation d’un caisson trop large. Si large qu’il en devient inconfortable et inesthétique.
Ce prototype en mousse est donc une première étape dans l’écriture du cahier des charges design de notre prototype industriel.
Mais nous ne pouvons pas nous contenter de cette seule étape. Car comme vous pouvez le voir, nous sommes encore loin d’un cahier des charges complet et satisfaisant.
Et ici, vous avez votre rôle à jouer.
Construire ensemble ce cahier des charges, étape par étape
Dans l’écriture du cahier des charges design de notre prototype industriel, je vois deux endroits où vous pouvez d’ores et déjà nous aider.
(1) Le premier est exclusivement destiné aux toulousains (ou habitants des alentours).
L’idée que j’ai en tête est simplement de vous inviter à mon atelier, pour venir enfourcher notre prototype en mousse. Ce faisant, vous pourrez essayer les différentes positions de conduite (avec les 4 positions de repose pieds) et me donner votre sentiment.
Je crois qu’à ce jeu, il n’y a pas de secret : il faut qu’un nombre aussi grand que possible de personnes viennent s’asseoir sur notre prototype en mousse pour qu’on puisse récolter leur perception de l’ergonomie de cette première version.
Plus on sera nombreux à l’avoir essayée, plus on sera confiants sur les conclusions à en tirer.
J’invite donc tous ceux d’entre vous qui habitent non loin de mon atelier de Montaudran à venir me rendre visite. Il paraît d’ailleurs que notre machine à café à l’italienne fait un assez bon café. Ça fait bien assez de raisons pour venir me visiter il me semble.
Ça, c’était pour la première aide que seuls les toulousains peuvent nous apporter.
(2) Quant à la deuxième option, elle est accessible à tous ceux parmi vous qui ont un smartphone.
Car cette deuxième option ne nécessite qu’une seule chose : avoir installé l’application Substack, sur laquelle la plateforme du Club des Pionniers est hébergée.
Pourquoi ça ?
Simplement car nous allons lancer la semaine prochaine le premier Chat du Club des Pionniers, qui s’apparentera à un mini-forum sur lequel vous pourrez tous venir discuter en temps réel de nos sujets brûlants.
Ces Chats — comme ils sont appelés sur l’application — seront une sorte de renaissance des groupes de travail que nous avons initiés il y a presque un an, ce qui nous excite évidemment beaucoup. Ils permettront de rassembler nos matières grises, et de discuter en direct de problématiques que l’on rencontre au fil de la conception.
Je vous enverrai le lien vers ce premier Chat par e-mail. Mais pour les prochains, vous recevrez directement une notification de la part de l’application.
Je vous écrirai donc à nouveau dans la semaine, avec le premier sujet brûlant que nous allons traiter. Un sujet qui, sans surprise, sera directement corrélé à l’élaboration du cahier des charges design dont je vous ai parlé aujourd’hui.
D’ici là, je vous souhaite un excellent dimanche !
Julien
P.S. : les Chats nous permettront d’échanger plus régulièrement, de manière différente — ils ne remplaceront pas les rapports hebdomadaires, évidemment, ni les discussions que nous partageons chaque semaine dans les commentaires !