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Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 108 pionniers.
Salut à tous,
Vous avez sûrement vu passer cette information qui a inquiété les technophiles du monde entier : Elon Musk a partagé sa crainte de mettre Space X en faillite à cause des nombreux problèmes qu’il rencontre sur son moteur-fusée.
Mais ça ne m’a pas ému plus que ça.
Car voilà, ce n’est vraiment pas mon combat.
Par contre, j’ai été beaucoup plus ému quelques jours après avoir vu passer cette information, quand j’ai réalisé que notre moteur nous mettait nous aussi dans une situation inconfortable.
Pour une expérience immersive, voilà mot pour mot l’e-mail qui a déclenché cette vive émotion.
Je l’ai reçu de la part de notre contact de chez Mahle, l’entreprise censée nous vendre le moteur à induction de notre preuve de concept :
“Bonjour Julien,
Je vous confirme que la commande a bien été passée en interne la semaine dernière.
Par contre, l’usine m’a informé ne pas avoir de stock et il n’est pas certain que nous ayons un lot de production avant l’année prochaine.
Je suis désolé de cette mauvaise nouvelle car j’ai bien en tête que vous avez reçu le pack batterie et que vous espériez travailler sur le démonstrateur rapidement.
Je vous tiens au courant si la situation évolue favorablement.
À bientôt.”
J’ai ressenti exactement ce que vous ressentez en ce moment-même.
Une légère panique de voir notre agenda s’allonger plus que de mesure, un peu d’agacement d’avoir passé autant de temps sur ce sujet pour en arriver à cette impasse, et une envie irrépressible de trouver une solution rapidement.
Ni une, ni deux, j’ai répondu à cet e-mail en demandant ce que signifiait exactement “l’année prochaine” dans l’échelle de temps de mon interlocuteur. Et je n’ai pas attendu sa réponse pour chercher une solution à ce problème inattendu.
Car selon mon agenda, la preuve de concept devait être finie à la fin de cette année.
Ça ne sera pas le cas, pour des raisons évidentes de délai de livraison (je vais d’ailleurs récupérer les modules de batteries vendredi prochain). Mais quand même, ce n’est pas parce qu’on ne tiendra pas le délai qu’on doit s’autoriser à perdre du temps.
Alors quand je dis que j’ai cherché une solution à ce problème de moteur indisponible, ça veut dire que j’ai cherché des alternatives. J’ai été servi, car j’ai trouvé 3 alternatives.
Mais vous allez le voir, ce n’est pas si simple.
Mahle, version chinoise
La première alternative que j’ai trouvée, je l’ai trouvée en fouillant dans le catalogue de Mahle.
Je me suis en effet dit que si je trouvais un autre moteur à induction fabriqué par ce constructeur, il serait plus simple de l’acheter car j’avais déjà le contact efficace en interne.
Et en cherchant bien, j’ai trouvé ce moteur.
C’est lui aussi un moteur à induction.
Il fournit 7 kW au bout de 60 minutes d’usage en continu (sa puissance nominale doit donc être proche de celle du moteur Mahle qui nous intéressait, et qui est en rupture), il pèse 30 kg, et il coûte moins de 800$.
Idéal, non ?
En apparence, oui.
Car avec ce moteur, on reste chez Mahle et on garde la technologie à induction sans aimants permanents (donc sans terres rares) qu’on a choisi d’utiliser.
Mais quand on creuse, la réalité est moins séduisante.
Mahle a plusieurs usines de fabrication. Et d’après ce que j’ai compris — et qui semble assez logique — chaque usine a ses moteurs de prédilection.
Or ce moteur-là est bien fabriqué par Mahle, une entreprise allemande, mais dans l’une de ses usines chinoises.
Autrement dit, utiliser ce moteur revient à se scandaliser du monopole chinois sur les terres rares, tout en s’approvisionnant en Chine pour un moteur sans terres rares chinoises. Il y a de quoi avoir le cerveau qui fume.
Pour autant, cette alternative n’est pas que négative.
D’abord car si je l’achète, elle arrivera chez moi dans moins d’un mois.
Ensuite car on ne parle ici que d’un prototype de moto électrique, ce qui peut nous laisser quelques libertés sur nos exigences originelles, tant que ça ne reste qu’un prototype.
Et enfin, car on peut espérer convaincre une usine européenne de Mahle de produire cette référence qu’ils ont dans leur catalogue.
Mais si je veux bien reconnaître que tout n’est pas à jeter dans cette solution, elle me paraît mauvaise.
Car elle revient à faire un compromis dès aujourd’hui sur un de nos sujets centraux.
Et ce genre de trahison minime est la porte ouverte à toutes sortes de compromis qu’on pourrait accepter par la suite. Je n’oublie donc pas cette alternative, mais il me semble qu’elle ne doit être activable qu’en dernier recours.
Passons donc à la deuxième alternative que j’ai trouvée.
L’autre constructeur allemand
Quand je suis tombé sur ce moteur, j’ai failli verser une larme.
Car il m’a donné l’impression que derrière chaque obstacle se trouvait une opportunité qui avait le potentiel de changer notre vie. Je me suis soudain vu dans une publicité intempestive avant une vidéo YouTube, à narrer mon histoire inspirante.
Mais ma glande lacrymale s’est vite tarie.
Voilà le tableau de la situation :
ABM Greiffenberger est un constructeur allemand de moteurs électriques, qui fournit notamment la navette autonome Navya.
Tous les moteurs qu’il fabrique semblent être produits en Allemagne et sa gamme de moteurs à induction est assez fournie.
Dont un moteur à induction qui fournit 5 kW à 30 minutes (contre 4,7 kW à 90 minutes pour le moteur qu’on a choisi jusqu’à présent — donc un peu moins puissant), mais qui pèse 27 kg (soit 9 kg de moins).
Autrement dit, ce moteur est peut-être le moteur idéal.
Car s’il ne fournit “que” 5 kW pendant 30 minutes, il n’est pas impossible qu’il soit capable de titiller les 15 kW en pointe du moteur Mahle qu’on a choisi jusqu’à présent.
Mais il y a un contretemps.
C’est que le temps de livraison pour recevoir ce moteur est de 35 semaines, d’après le service commercial d’ABM Greiffenberger.
Comme beaucoup d’autres constructeurs européens, ils subissent une crise des approvisionnements assez conséquente. Et s’ils ne me l’ont pas dit aussi crûment, ils n’ont pas de temps à perdre avec de petits français qui veulent produire un prototype de moto électrique.
Eux, ils veulent du sérieux. Ils veulent du Navya. Ils veulent du révolutionnaire !
Et je les comprends.
Alors je garde cette idée pour plus tard, et je les recontacterai quand on aura fini notre preuve de concept afin de savoir ce que leur moteur a dans le ventre. Car avoir plusieurs fournisseurs de moteurs en compétition ne sera pas de trop pour trouver la meilleure solution disponible sur le marché.
La deuxième alternative s’est donc avérée encore moins probante que la première, qui n’était elle-même pas vraiment probante.
Il me reste à vous présenter la troisième alternative, à peine plus réjouissante.
Un moteur d’occasion ?
Cette dernière alternative, c’est de trouver le même moteur Mahle, mais d’occasion.
L’idée ici, ça serait de chercher une Twizy épave (ça doit exister) pour lui retirer son moteur. En espérant que ça soit bien le moteur avec une puissance de crête de 15 kW, car les versions les plus anciennes ne garantissent pas cette puissance.
Par exemple, l’excellent site Kit Elec Shop propose un moteur de Twizy d’occasion, mais sa puissance de crête culmine à seulement 12 kW. S’il pesait moins lourd, ça pourrait être acceptable, mais ce n’est même pas le cas.
Et ce n’est pas le seul défaut de l’alternative du moteur d’occasion.
Car pour couronner le tout, utiliser un moteur d’occasion revient à n’avoir aucun contact direct avec Mahle ou Renault. C’est une solution de bricolage, qui ne validerait donc en aucun cas la pertinence industrielle de notre preuve de concept.
En somme, aucune alternative au moteur Mahle n’est réjouissante.
Mais on va bien devoir se décider pour une solution, car le temps s’échappe irrémédiablement. Et j’ai bien envie que notre moto sorte de terre rapidement.
Ce qui revient à poser une question : est-ce que février 2022, c’est acceptable ?
La meilleure offre de Mahle
Pourquoi février 2022 ?
Simplement parce qu’avant de partir dans ma recherche d’alternatives, j’ai posé une question à mon contact de chez Mahle : quel est le meilleur délai qu’ils peuvent nous offrir ?
Et sa réponse est arrivée ce mercredi, au moment où je commençais à désespérer :
“Bonjour Julien,
Je viens de faire le point avec l’usine et j’ai une bonne nouvelle : nous nous engageons sur une expédition des pièces première semaine de Février 2022.
Si c’est OK pour vous, est-ce que vous pouvez me confirmer votre commande en nous retournant l’offre signée avec la mention « bon pour accord » s’il vous plaît ?
Pour que vous compreniez bien la situation, plusieurs facteurs jouent contre nous, ce qui explique le délai :
Nous avions un petit stock de pièces mais celui-ci vient d’être consommé,
Nous n’avons pas d’appel de pièces régulier et important sur cette référence,
Cette référence est produite sur les moyennes séries, ce qui rend plus compliqué d’intercaler un lot de production versus d’autres références avec des volumes plus élevées,
Nous n’avons malheureusement pas d’atelier proto sur ce type de produit ce qui serait pourtant fort utile dans le cas présent.”
Ne voulant pas m’engager avant de vous avoir consultés, j’ai légèrement temporisé.
J’aimerais néanmoins lui répondre rapidement, pour ne pas ternir notre relation. Il faut donc qu’on se décide tous ensemble pour répondre à une simple question : est-ce que cette offre nous satisfait ?
(Sachant que comme nous l’avons vu plus haut, les alternatives de moteurs à induction européens et dans notre gamme de puissance ne sont pas pléthore.)
Mon sentiment, c’est que c’est un compromis aride — mais qui reste acceptable.
Car d’ici février, nous n’allons pas chômer :
Nous pourrons tester les modules de batteries,
nous pourrons concevoir et fabriquer le boitier mécanique de la batterie,
et nous aurons certainement fini la partie cycle pendant ce temps.
Mais avant de fixer cette date, j’aimerais savoir ce que vous en pensez. Comme à chaque virage important du projet.
Ça se passe comme toujours dans les commentaires de ce rapport hebdomadaire, sur le Club des Pionniers :
En attendant vos réponses, je vous souhaite un bon dimanche.
Julien
Tout viens a qui sait attendre, et rester droit dans ses bottes, chaque temps à son temps. Petit pas a petit pas l’oiseau fait sa moto. Utilisons L’énergie du printemps.
Salut Julien,
En effet c'est dommage de recevoir ce genre de mail mais tout le monde est touché en ce moment, même les plus gros constructeurs.
Je trouve Février acceptable à 2 conditions :
- qu'ils envoient un 3D complet du moteur, tu pourra ainsi faire une impression 3D pour commencer la mise en forme du cadre et des faisceaux et ainsi gagner du temps
- qu'ils nous fournissent un peu de garantie pour le futur, les quantités produites chaque année, leur capacité à accueillir de nouveaux clients. Ca pourrait jouer en leur faveur lors de la décision du fournisseur.
Bonne soirée,