L'absurdité CRIT'Air (et ce que nous pouvons faire pour y remédier)
Mon ER-5 est exclue de Toulouse
Temps de lecture : 13 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 207 pionniers.
J’avais prévu de vous rédiger un rapport hebdomadaire sur les dernières avancées de notre preuve de concept.
Mais entre temps, j’ai eu cette aventure avec la vignette CRIT’Air de ma moto (que vous allez découvrir dans les prochaines lignes). Une aventure qui m’a donné une idée que je me suis senti obligé de vous partager aujourd’hui.
Ce rapport hebdomadaire sera donc un peu différent des autres, pas directement consacré à la conception de nos prototypes. Mais je crois qu’il peut marquer un tournant dans la vie du Club des Pionniers.
Bonne lecture !
Salut à tous,
Depuis quelques années, les toulousains et les habitants d’autres métropoles françaises ont fait la connaissance de la vignette CRIT’Air.
Pour celles et ceux d’entre vous qui ont été miraculeusement épargnés par l’introduction fracassante de cette petite étiquette, le principe de la vignette CRIT’Air est simple : chasser les véhicules polluants de nos routes.
On commence d’abord par les exclure des zones urbaines denses en population — car c’est bien dans ces endroits que la situation est la plus préoccupante — puis petit à petit, cette exclusion se répand à tout le territoire.
Et on le fait grâce à une vignette CRIT’Air, sorte de sésame qui classe les différents véhicules en 6 catégories (du véhicule le plus polluant au véhicule le moins polluant), et qui décide du droit de chaque véhicule à pénétrer dans les zones restreintes. Zones restreintes qui portent aujourd’hui le nom cryptique de ZFE, qui en réalité est l’acronyme parfaitement transparent de “zones à faible émission”.
En somme, la vignette CRIT’Air est un passe-droit, tout ce qu’il y a de plus classique.
Une passe-droit controversé — mais finalement pas si aberrant quand on réalise l’ampleur du défi qui nous attend, celui d’une transition mobilitaire qui nous amènera à la fois à réduire l’impact climatique des transports et l’impact sur la santé des citoyens.
Enfin, ce n’est qu’en théorie que ce passe-droit n’est pas si aberrant.
Car en pratique, c’est au moment de commander la vignette CRIT’Air de mon ER-5 de 1998 que je me suis confronté à sa réalité — et que j’ai compris que ce mécanisme n’était pas exempt de reproches.
Mon ER-5 : 4 l/100 km mais hors catégorie
Vous le savez, je roule sur une ER-5 du siècle dernier.
C’est une moto fiable, facile à conduire, et économe. Une moto qui répond donc exactement à mon besoin, en dehors de toute exubérance. Elle me permet de me rendre d’un point A à un point B, comme je lui demande et en toute sobriété.
D’autant que n’étant pas moi-même un voyageur compulsif, le point A et le point B que mon ER-5 me permet de joindre sont absolument toujours les mêmes :
Mon domicile,
et l’atelier d’Ambre.
Autrement dit, tout ça n’est que très ennuyeux.
Tout ça fonctionnait paisiblement jusqu’à ce que ma municipalité (ou je ne sais quelle autre strate administrative) décide d’élargir la ZFE toulousaine à tous les véhicules, englobant ainsi mon ER-5.
Et puisque mon domicile est situé du bon côté du périphérique toulousain, mon ER-5 s’est retrouvée du jour au lendemain concernée par l’obligation de se vêtir du précieux sésame CRIT’Air.
Quand j’ai appris la nouvelle en janvier dernier, j’ai procrastiné.
Il faut dire que malgré tous mes efforts, je suis de ces motocyclistes qui craignent le mauvais temps comme les vampires craignent la lumière du jour. Or comme les premiers mois de 2023 ont été pluvieux et froids à Toulouse, j’ai laissé ma moto hiberner à l’abri.
Mais bien assez vite, le beau temps a fini par rayonner sur la région que j’habite.
Empressé, je me suis alors rendu sur le site de CRIT’Air pour commander la vignette qui revient de droit à ma japonaise préférée.
J’ai déboursé les 3,72€ qui m’étaient demandés, et j’ai attendu devant ma boite aux lettres que le facteur me donne mon droit à conduire.
Hélas, ma boite aux lettres est restée vide.
À la place, c’est ma boite e-mail qui s’est remplie.
J’ai en effet eu l’honneur de recevoir un e-mail d’une adresse se terminant par .gouv.fr qui m’informait que je n’avais pas besoin d’attendre mon droit à conduire. Car c’était décidé, ils n’allaient pas me le donner.
En cause (comme vous pouvez le sur l’image ci-dessus) : mon ER-5 n’a même pas le droit de recevoir une vignette CRIT’Air.
C’est-à-dire que sur les 6 catégories de véhicules classés par le critère omnipotent qui distribue les bons points, mon ER-5 n’a même pas mérité le droit d’être comptabilisée. Elle est en dehors de ces 6 catégories.
Marginalisée, esseulée, en dehors de toutes catégorie.
Elle a été décrétée nulle et non avenue. “Canceled” comme diraient d’aucuns.
Face à cette sentence, j’ai d’abord été décontenancé.
Je veux dire que mon ER-5, cette fidèle travailleuse, est réputée pour sa très faible consommation. Elle ne boit pas plus de 4 litres d’essence tous les 100 kilomètres, soit 0,5 litres de moins que ma Clio 3.
On peut donc difficilement lui faire le procès de sa trop grande gourmandise.
D’autant qu’au jeu de la consommation, elle se classe loin de certaines motos contemporaines comme la Versys 1000 Euro4 — qui consomme 50% d’essence en plus, mais qui pourtant ont la vignette CRIT’Air 1 des bons élèves.
Sans oublier qu’il n’y a pas que les motos qui sont concernées : la 5008, cette grande familiale qui consomme entre 7 litres et 10 litres tous les 100 km, est elle aussi classée dans la catégorie des bons élèves (vignette CRIT’Air 1).
Forcément, un tel diagnostic ne peut que prêter à confusion.
On veut limiter la pollution émise par les véhicules routiers en interdisant certains véhicules qui consomment significativement moins d’essence que d’autres véhicules très bien classés ?
Comment expliquer une telle dissonance ?
Les normes Euro et le carburant
Pour expliquer cette dissonance, c’est très simple.
Il suffit de savoir que l’attribution des bons points par la vignette CRIT’Air ne repose que sur 2 paramètres :
Le carburant utilisé (essence ou diesel donc) ;
Ainsi que la norme européenne sur la pollution des moteurs thermiques, en vigueur à la date de mise en première circulation du véhicule.
(Et un troisième paramètre caché, sur la nature du véhicule : voiture, moto/scooter/quadricycle léger ou cyclomoteur.)
Ainsi, la vignette CRIT’Air tranche sans sourciller.
Les véhicules électrique à batterie sont les meilleurs élèves puisqu’ils n’émettent aucun gaz polluant sur leur usage, ce qui leur vaut d’arborer une vignette CRIT’Air 0.
Quant aux autres véhicules , ils se voient affubler d’une vignette CRIT’Air allant de 1 à 5, selon les 2 paramètres (+ 1 paramètre caché) qui viennent d’être cités. Et ce, quelles que soient leurs performances individuelles en termes de pollution.
Pour comprendre ça, il faut faire une pause sur les normes européennes appelées “Euro” sur les émissions de gaz polluants des véhicules thermiques.
La première norme Euro a été promulguée en 1993, avec un objectif sain : celui de réduire le nombre de morts de la pollution atmosphérique.
Pour y parvenir, son mode opératoire est simple.
Il consiste à faire passer des tests aux nouveaux modèles sur le point d’être mis en circulation par les constructeurs, afin de mesurer leurs émissions en gaz toxiques.
Parmi ces rejets toxiques, on compte notamment les particules fines, les oxydes d’azote et les monoxydes de carbone. Les émissions en gaz toxiques sont alors mesurées sur un cycle représentatif donnant un quantité d’émissions par kilomètre.
Et lorsque ces tests sont fait, l'homologateur fait tomber la sentence : si les mesures sont dans les clous des objectifs fixés par la norme Euro en vigueur, alors le feu est au vert pour la mise en circulation. Sinon…
Autrement dit, la norme Euro a été inventée pour fixer un cadre légal à la pollution.
Aussi simplement que ça.
Une sorte de droit à polluer. Et tous les 5 ans environ, le droit à polluer se durcit pour des raisons évidentes, créant ainsi une nouvelle norme Euro (1, puis 2, puis 3, etc.) que les constructeurs doivent respecter.
Lorsqu’on sait ça, on entrevoit ce qui cloche dans ce classement arbitraire.
C’est que la norme Euro fixe un cap en termes d’émissions toxiques : elle donne une valeur limite à ne pas dépasser.
Mais elle ne favorise pas les véhicules qui d’eux-mêmes émettent moins de rejets toxiques que demandé. Elle se contente d’une tape dans le dos.
Si bien qu’à la fin, on en arrive à des situations où certains véhicules prenant de l’avance en se conformant à une norme future se voient considérés comme aussi polluants que d’autres qui se sont contentés de respecter le cadre légal.
Par exemple, au hasard : si un constructeur sort un véhicule en 2010 qui respecte par avance la norme Euro 5 qui entrera en vigueur en 2011, ce véhicule sera tout de même considéré par la vignette CRIT’Air comme ne respectant pas la norme Euro 5.
Et ce faisant, ce véhicule sera exclu des ZFE plus tôt que justifié.
De même pour mon ER-5 : elle a été mise en circulation avant que la norme Euro 1 ne soit rendue obligatoire pour les motos. Sa pollution à l’usage n’a donc pas été testée.
Et ce faisant, elle a aveuglément été exclue de tout classement.
Si bien qu’en réalité, il est impossible de s’assurer que tous les véhicules autorisés à rouler dans les ZFE par la vignette CRIT’Air soient moins polluants que tous ceux qui en sont exclus.
Et par là, on ne peut pas s’assurer qu’une telle mesure soit effectivement juste.
En somme, nous avons ici l’exacte illustration de ce que la bureaucratie sait faire de mieux : créer des règles avec une bonne foi remarquable, mais une maladresse déconcertante.
Une de ces maladresses qui va me pousser à laisser mon ER-5 au garage (en attendant son retrofit), car je préfère m’accorder avec la loi, aussi désespérante soit-elle.
Mais ça n’aura pas été une maladresse vaine.
Car elle m’aura permis de constater que le Club des Pionniers, en tant qu’association, pourrait avoir un rôle à jouer en réponse à cette situation.
Promouvoir les 2-roues électriques
Les ZFE sont une bonne chose.
Douloureuse, ça ne fait aucun doute. Mal exécutée, ça fait encore moins de doute.
Mais par dessus tout, les ZFE peuvent générer une casse sociale assez terrible, sauvant des centaines de milliers de citadins de maladies respiratoires mais enfermant encore plus ceux qui ne peuvent pas se permettre d’acheter un nouveau véhicule à chaque rhume de notre président.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des ZFE qui ont été implémentées commencent à rétropédaler sur le calendrier qu’elles s’étaient initialement fixées, voyant déjà poindre la juste colère populaire.
Pourtant, nous allons devoir passer par une révolution mobilitaire, au cours de laquelle nous allons devoir changer nos modes de déplacement. Tant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre que pour limiter les émissions de gaz toxiques.
Ça aussi, ça sera douloureux.
Et ça aussi, ça risque d’être mal exécuté.
Mais il est forcément possible de faire pencher la trajectoire que nous prenons collectivement pour limiter les dégâts. Et l’un des ingrédients de cette trajectoire, nous le connaissons, c’est la promotion des véhicules électriques intermédiaires.
Aujourd’hui, toute la lumière médiatique et politique se concentre sur les 2 extrémités du spectre mobilitaire :
D’un côté il y a les voitures électriques que tout le monde s’arrache ;
Et de l’autre il y a les vélos électriques que tout le monde promeut.
Ces deux solutions de mobilité représente évidemment une partie de l’avenir.
Les voitures sont imbattables sur les longs trajets, quand les vélos sont invincibles sur les trajets urbains.
Le problème, c’est que les voitures et les vélos seuls ne suffiront pas. Il est strictement impossible d’imaginer un monde prochain où les solutions mobilitaires individuelles appartiennent exclusivement à ces 2 solutions.
Car le vélo et la voiture ont aussi leurs défauts.
La voiture est chère, elle est gourmande en matières premières, et son impact climatique sur son cycle de vie est trop conséquent. Tandis que le vélo peut être inconfortable, et répond essentiellement à un usage purement urbain.
Si bien que si je parle de spectre mobilitaire, c’est parce qu’on doit retrouver un éventail dense de solutions de mobilité individuelle entre le vélo et la voiture :
Le vélomobile (pourquoi pas ?) ;
Le cyclomoteur ;
La moto ;
Le scooter ;
Le quadricycle léger ;
Et d’autres que j’oublie sans doute.
C’est une évidence que d’appeler à une densification du spectre mobilitaire.
Une évidence, car c’est la seule manière d’adoucir la claque que représentera la généralisation des ZFE et la tension croissante sur la mobilité future.
Pourtant, ces solutions intermédiaires sont les grandes oubliées de toutes les politiques publiques et des campagnes médiatiques en tous genres dédiées à la transition mobilitaire.
Dès lors, que faire de cette situation ?
Une grande action médiatique
Eh bien je crois qu’il faut trouver un moyen, collectivement, de faire une action publique.
À la manière de ce que Time For The Planet a pu faire ces derniers mois, en prenant une grande place sur les réseaux sociaux pour promouvoir leur vision.
Ou à la manière de ce qui avait été fait en 1981 avec le refus de la vignette moto clamé par les innombrables Clubs motocyclistes de France. Une mobilisation qui a d’ailleurs donné naissance à la Fédération des Motards en Colère et à la Mutuelle des Motards.
Je ne sais absolument pas si c’est une bonne idée.
Mais j’enrage de voir si souvent oubliées la moto électrique, le scooter électrique et toutes les solutions intermédiaires de mobilité, dans tous les discours qui concernent ce sujet qui nous est si cher.
Et je me dis que peut-être, si le Club des Pionniers s’empare du sujet et convainc toutes les autres associations de mobilité électrique de faire pencher la balance vers les autres solutions de mobilité, on pourrait être à la source de quelque chose de bien.
Je fais donc appel à vous avec cette bouteille à la mer.
À vous de la saisir, si vous le souhaitez ou si ça vous paraît judicieux. Car le Club des Pionniers pourrait être un peu plus que cette association de passionnés qui accompagne Ambre dans la conception de ses motos électriques.
J’attends donc votre avis, vos idées, et vos suggestions dans les commentaires de ce rapport hebdomadaire :
Et forcément, j’ai hâte de les lire. Car ça pourrait être le début d’une drôle d’aventure.
Bon dimanche,
Julien




