OpenModelica, et le procédé de "défluxage"
2 outils pour aller plus loin et plus vite
Temps de lecture : 12 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 203 pionniers.
Salut à tous,
Dans ma quête de modélisation du groupe motopropulseur de notre prototype industriel, l’un des enjeux majeurs auquel je vais me consacrer est la modélisation de notre moteur électrique.
La raison ?
Vous la connaissez : c’est que le moteur électrique qu’on utilise aujourd’hui est diablement lourd. 38 kg de ferraille pour développer seulement 15 kW en pic, c’est au 15 kg de trop.
Alors pour que le groupe motopropulseur que nous sommes en train de concevoir soit crédible, 2 options s’offrent à moi :
Soit chercher une alternative chez un autre fabricant de moteur ;
Soit proposer à Mahle un moyen d’alléger leur moteur.
Or comme Mahle a eu la bonne volonté de nous faire confiance, il me semble que le plus juste est de commencer par la deuxième solution.
Pour ça, le mieux est alors de modéliser ce moteur électrique.
Car grâce à cet effort, on s’offre la chance de pouvoir le maîtriser à la perfection et sous tous ses angle. Ce qui nous permettra d’identifier les pistes crédibles d’amélioration, que nous proposerons ensuite à notre partenaire allemand.
L’un des passages obligés pour modéliser notre moteur — comme nous en avons parlé il y a quelques semaines — est d’en acheter un avec de le démonter et de le modéliser chacun de ses composants en 3D.
Ça, c’est la partie évidente de la modélisation. Celle que j’ai hâte de commencer.
Mais en attendant la réception de ce moteur sacrifié, il y a de nombreux sujets que nous pouvons d’ores et déjà étudier sur la modélisation de notre moteur.
Dont un phénomène dont nous n’avons jamais parlé jusqu’ici : le défluxage.
OpenModelica et une courbe de couple
D’abord, commençons par poser un personnage inconnu jusqu’à présent.
Il s’appelle OpenModelica, dont vous n’avez probablement jamais entendu parler. Et pourtant, c’est un personnage qui va endosser un rôle capital dans notre aventure. C’est même peut-être lui qui va nous amener en des hauteurs inespérées.
Pour vous le décrire en quelques mots : OpenModelica est un logiciel open-source qui permet de modéliser les systèmes complexes, en intégrant les interactions multiphysiques à l’intérieur et à l’extérieur du système.
Voilà qui est très résumé, et absolument flou.
Alors laissez-moi le décrire autrement, en vous disant ce que ce logiciel nous apportera :
D’abord, c’est un logiciel en open-source.
C’est peut-être un détail, mais ça nous permettra d’économiser une belle quantité d’argent (une licence individuelle chez un autre logiciel de simulation bien connu, c’est 3 500 € par an).
Mais ce n’est pas le seul bénéfice de l’open-source.
Un autre bénéfice tout aussi capital, c’est qu’on pourra perpétuer la philosophie du partage des connaissances que nous développons dans la conception de notre moto électrique.
C’est tout bête, mais l’usage de ce logiciel nous permettra de diffuser pour de bon nos modèles de calcul. Exactement comme on a fait jusqu’à présent avec nos fichiers Excel, mais en plus professionnel.
Le deuxième point d’intérêt est justement dans les outils de calcul que nous allons pouvoir vous partager.
Jusqu’à présent, vous n’aviez accès qu’à mes fichiers Excel, tellement illisibles que vous ne pouviez même pas vérifier les calculs.
Vous ne pouviez donc qu’entrer vos données et noter les résultats, sans les discuter.
Grâce à OpenModelica, vous n’aurez dorénavant qu’à télécharger le logiciel gratuitement pour ensuite réutiliser nos modèles de calcul, et les utiliser exactement comme vous le souhaiterez.
Vous pourrez les améliorer, les personnaliser ou les simplifier.
Et vous pourrez le faire aussi bien en tant qu’individus passionnés, qu’en tant qu’entreprises de la mobilité électrique. Car aucun des modèles que nous vous partagerons ne seront protégés.
Enfin, ce logiciel va nous permettre de modéliser toujours plus finement notre moto électrique.
Nous allons par exemple pouvoir améliorer notre estimation de l’autonomie réelle de notre moto et du temps de passage de 0 à 50 km/h (ce qui passe par la modélisation de tous les composants de notre groupe motopropulseur).
Et non content de préciser nos estimations, ce logiciel va aussi nous offrir de développer la prochaine version du calculateur central de notre groupe motopropulseur, pour le rendre bien plus intelligent.
Voilà donc pour le portrait de ce personnage central de notre aventure.
Mais comme vous l’aurez compris, il n’est efficace que si on lui donne du grain de bonne qualité à moudre. Pour qu’on puisse modéliser le comportement de notre bloc motopropulseur, on doit donc dire à OpenModelica comment modéliser le comportement de chaque composant.
Ici, le juge de paix correspond donc à notre capacité à concevoir un modèle de modélisation qui arrive à reproduire un comportement réel.
Et puisque nous commençons par notre moteur électrique, il n’y a pas mille chemins.
Le seul et unique comportement réel auquel nous avons accès aujourd’hui est cette courbe de couple en fonction du régime moteur, qui est donnée par la documentation Mahle :
L’objectif est donc tout trouvé.
Je dois trouver comment reproduire cette courbe sur OpenModelica.
Le défluxage, pour aller plus loin et plus vite
Ici, je dois vous prévenir.
Ce dont je m’apprête à vous parler n’est pas nécessairement facile d’accès. On commence à entrer dans un niveau de détail supérieur à ce qu’on étudie en école d’ingénieur (j’en témoigne, hélas).
Mais voilà, ça me semble nécessaire d’en arriver là.
Car ce que je vais décrire ici servira de base à ceux qui voudront bidouiller les outils de conception que je vous enverrai sur OpenModelica. Ils pourront donc savoir ce qui se cache derrière les paramètres de base de ces outils.
Aussi, ce que je vais vous dire ici vous permettra de comprendre encore plus finement le comportement des moteurs électriques.
Et pour cause, vous saurez dorénavant expliquer ça :
Eh oui — car arriver à reproduire la courbe de couple de notre moteur électrique, ça exige de comprendre pourquoi cette courbe est composée d’un plateau qui se brise à une certaine vitesse, auquel succède une chute abyssale.
Commençons par la première phase de cette courbe de couple, celle du plateau.
Partie 1 : le plateau
Cette phase est la plus facile à comprendre.
Elle consiste en effet à découvrir que le couple produit par le moteur est directement proportionnel à l’intensité d’alimentation du moteur.
Si vous n’avez pas peur des lettres grecques, voilà précisément la formule du couple électromagnétique Ce généré par un moteur en fonction de l’intensité I (et d’autres paramètres tels qu’une constante K, le flux magnétique Φ et l’angle Ψ entre le champ magnétique du rotor et du stator) :
Ce que dit cette formule est très simple.
C’est que si on le souhaite (et on le souhaite), il suffit de pousser l’intensité d’alimentation du moteur à son maximum et de la garder constante pour se positionner au couple maximum autorisé par le moteur.
Et ce, quelle que soit la vitesse de rotation du moteur.
Qu’on se place à 0 tr/min ou à 1 500 tr/min, notre moteur pourra fournir son couple maximum avec une constance parfaite. C’est donc ce qui explique la platitude de la première portion de la courbe de couple.
Mais dans ce cas, au vu de cette formule, comment expliquer la chute de couple ?
Partie 2 : la chute
Instinctivement, on pourrait se dire que cette chute du couple s’explique par une sorte de décrochage physique. Le rotor n’est plus capable de suivre le stator, donc le couple chute et patatra.
Pas du tout. Absolument pas.
Cette chute du couple est en réalité la conséquence d’un choix. Un choix de donner l’ordre à notre moteur de tourner à une vitesse qui dépasse sa vitesse nominale.
En effet, la vitesse de base d’un moteur électrique se calcule très simplement : elle est directement proportionnelle à la tension E du moteur (et d’autres paramètres tels qu’une constante K et le flux magnétique Φ) :
Comme la tension nominale de notre moteur est fixée de 60V, alors cette formule nous apprend que sa vitesse nominale est elle aussi fixée à une certaine valeur. Et selon toute vraisemblance, cette certaine valeur est un peu en-dessous de 2 000 tr/min.
Ce que ça veut dire est alors très simple.
C’est que le moyen le plus simple de faire tourner notre moteur au-delà de 2 000 tr/min (ce que l’on souhaite), c’est de l’alimenter au-delà de sa tension nominale de 60V.
Mais c’est ici que le bât blesse.
Car un moteur n’est pas fait pour être alimenté au-delà de sa tension nominale. Il est capable de supporter des pointes de tension supérieures à sa tension nominale, mais seulement de manière exceptionnelle.
Il est donc parfaitement interdit, en usage normal, de chercher à alimenter notre moteur au-delà de sa tension nominale de 60V pour le faire dépasser 200 tr/min.
Dès lors, comment est-il possible que notre moteur arrive à dépasser cette vitesse ?
La réponse est dans l’équation que nous venons de voir.
Si nous la disséquons, nous voyons que la relation qui lie la tension d’alimentation du moteur à sa vitesse intègre 2 autres paramètres : un coefficient K sur lequel nous ne pouvons pas agir car il est fixe, et le flux magnétique Φ.
Sans entrer dans les détails de ce qu’est le flux magnétique, il n’y a qu’une seule chose à savoir ici : c’est que nous pouvons faire varier le flux magnétique grâce au contrôleur qui pilote notre moteur.
Et dès lors, on peut s’amuser à jouer aux vases communicants.
On sait qu’on ne peut pas faire augmenter la tension, c’est entendu. Eh bien si on veut que la vitesse Ω du moteur augmente, il suffit de l’augmenter tout en diminuant d’une même quantité le flux magnétique Φ.
De cette manière, la tension d’alimentation du moteur reste constante mais sa vitesse peut augmenter. Et ce, à la faveur d’une diminution du flux magnétique, ordonnée par le contrôleur de notre moteur.
C’est précisément ce procédé qu’on appelle le “défluxage”.
En guise de bilan, l’image suivante donne l’évolution du flux magnétique et celle de la tension d’alimentation de notre moteur, accolées à la courbe de couple d’un moteur électrique.
Sur cette image, on voit bien les 2 phases du fonctionnement de note moteur.
Entre 0 tr/min et la vitesse nominale du moteur, le couple et le flux magnétique sont constants.
Seule la tension augmente, en même temps que la vitesse. Elle est de 0V quand la vitesse est de 0 tr/min, et elle atteint la tension nominale du moteur au moment où ce dernier atteint sa vitesse nominale.
Au-delà de la vitesse nominale du moteur, la tension d’alimentation se stabilise à la tension nominale du moteur.
Et par la même occasion, on voit le flux magnétique et le couple du moteur décroitre — puisque pour rappel, les deux sont directement liés.
Nous sommes armés
Grâce à l’étude du mécanisme de défluxage, et grâce aux 2 équations que je vous ai citées au-dessus, je suis maintenant capable de tracer la courbe de couple de notre moteur électrique.
Et si j’ajoute l’étude du comportement thermique de notre moteur électrique dont je vous ai dévoilé les prémices il y a quelques temps (vous pouvez relire le rapport hebdomadaire consacré à ce sujet), je suis rassuré.
Avec tout ça, je suis armé pour modéliser le comportement de notre moteur électrique dans OpenModelica. Et c’est heureux.
Car comme nous l’avons vu en introduction aujourd’hui, cet effort de modélisation nous permettra d’identifier toutes les pistes d’amélioration que nous proposerons à Mahle.
(Ce qui sera sera d’autant plus convaincant pour eux de constater que nous ne sommes pas de simples assembleurs, et que nous avons fait nos devoirs.)
Il ne me reste plus qu’à m’y mettre.
Je vais donc ouvrir mon logiciel et je vais me plonger pendant les prochaines semaines dans ce monde merveilleux aux milles lettres grecques que nous avons aperçu aujourd’hui.
Je vous partagerai les résultats que j’aurai obtenus, mais je tâcherai de faire simple. Car je crois vous avoir déjà bien assez torturés avec ces mécanismes tous aussi complexes les uns que les autres.
Je tiens donc à saluer celles et ceux d’entre vous qui lisent ces lignes, en conclusion de ce rapport hebdomadaire. C’est sans doute l’un des plus garnis que j’ai écrits jusqu’à présent. Un seul mot : bravo, vous avez du courage en ce dimanche matin.
Mais après cette lecture corsée, j’espère que le reste de votre dimanche sera un peu plus reposant !
Bon dimanche,
Julien
P.S. : comme toujours, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et éclaircir certaines notions, si besoin est. Donc n’hésitez pas à commenter ce rapport si quelque chose n’est pas clair !