La légendaire Mutuelle des Motards
Une expérience qui nous a inspirés
Temps de lecture : 11 minutes.
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Salut à tous,
La mobilité est un domaine d’étude que je trouve absolument fascinant.
Il faut dire qu’elle est à la croisée de mille sciences :
Les sciences technologiques (puisque la mobilité repose sur des véhicules technologiques) ;
Les sciences industrielles (puisqu’on produit ces véhicules industriellement) ;
Et les sciences humaines (puisque la mobilité est un droit fondamental).
La mobilité a donc une place extrêmement importante dans notre société.
Et pour s’en rendre compte, il suffit de faire un calcul très rapide : avec un prix moyen d’une voiture (neuve et occasion) d’environ 20 000 € et une durée de renouvellement de 5,5 ans, les français dépensent plus de 200 000 € dans l’achat de leurs voitures dans toute leur vie.
Ce qui place le budget d’achat des voitures à la deuxième place des plus grosses dépenses de nos concitoyens. Et donne une idée assez marquante de l’importance que revêt la “bagnole” en France.
Sans surprise, cette prévalence donne à l’industrie automobile une place à part.
Et de manière symétrique, cette prévalence ne donne pas d’autre choix à l’industrie automobile que d’être en pointe, dans toutes les transitions que nos sociétés connaissent. Ce qui lui vaut bien souvent d’être un laboratoire assez précoce de nos évolutions civilisationnelles.
En témoigne le branle-bas de combat qui a lieu depuis plus d’une décennie, pour la pousser dans une direction plus respectueuse de son environnement. Avec des résultats certes discutables, nous en conviendrons. L’inertie a ses raisons !
Mais aujourd’hui, j’aimerais m’attarder sur un volet moins connu de l’industrie automobile en tant que laboratoire.
Ou plus précisément, c’est un aspect qui est passé en second plan depuis que nous avons collectivement découvert l’urgence climatique.
Pourtant, l’oublier reviendrait à mettre de côté mille expérimentations passionnantes, qui ont eu un impact significatif sur nos sociétés. Alors bien qu’obsédés par la transition mobilitaire, autorisons-nous une pause qui n’aurait pas déplu à Jean Jaurès, qui siège haut dans mon Panthéon personnel.
Le fourmillement social
Il est possible que vous ne le sachiez pas, car vous vous ne m’avez pas tous découverts via mon blog, construire-sa-moto-electrique.org. Mais ce qui m’a valu de me plonger à corps perdu dans l’industrie de la mobilité, c’est d’abord la moto.
Je suis donc historiquement très attaché à l’esprit motocycliste.
Un esprit à la fois rebelle, en quête de liberté, et profondément ancré au sol. Car même si les motos d’aujourd’hui affichent des prix affolants (la moto la plus vendue coûte 8 000 €), l'histoire de la moto est d’abord une histoire populaire.
En effet, au milieu du siècle dernier, ceux qui ne pouvaient pas s’offrir une voiture mais qui se voyaient contraints de trouver un moyen de locomotion pour aller au travail se tournaient bien souvent vers la moto.
Si bien qu’au siècle dernier, la moto est devenu en quelques décennies un moyen de locomotion accessible aux masses populaires, qui y ont trouvé un outil de liberté.
Puis le marché a évolué.
Avec les progrès techniques, les motos sont devenues de plus en plus puissantes. De plus en plus sportives, de plus en plus performantes, elles ont progressivement glissé vers un usage plus orienté vers le loisir.
Les motos n’étaient plus seulement un moyen de joindre efficacement les différents lieux d’existence des motocyclistes. Elles sont aussi devenues un moyen d’évasion, utilisé le week-end pour des virées de plus en plus sportives.
Et ce qui devait arriver arriva : les accidents augmentèrent.
Avec eux, les morts.
Si bien qu’en même temps que le nombre de motocyclistes s’est vu multiplier par 4 dans les années 70, le nombre de morts à moto a explosé. Attirant le regard du gouvernement de l’époque, inquiété par ce sujet de santé publique.
C’est alors qu’il proposa différentes mesures, plus ou moins valables.
Parmi les mesures valables, on compte l’obligation du port du casque, les limitations de vitesses ou la pénalisation de la conduite en état d’alcoolémie.
Mais il y a aussi eu les mesures moins valables.
Dont une, qui a déchaîné les colères les plus vives : la vignette moto.
Le principe de cette vignette était une sorte d’impôt généralisé à tous les véhicules personnels. Jusqu’ici, rien de révoltant.
Mais si je vous dis que cette vignette moto coûtait 2 à 3 fois plus cher que la vignette auto, vous commencez à imaginer que les motocyclistes se sont sentis visés par le gouvernement.
Rendez-vous compte :
La vignette coûtait 240 francs aux propriétaires d’une Renault 5 ;
Suand elle demandait 800 francs aux infortunés acquéreurs d’une Kawasaki Z1300. Alors que la japonaise coûtait 2 000 francs de moins que l’iconique voiture française.
Et pour ne rien arranger, les assurances ont voulu emboiter le pas du gouvernement.
Voyant qu’il était autorisé de prendre à la gorge le million de motocyclistes français qui étaient alors considérés comme des dangers publics, les assurances se sont mises à augmenter leurs prix.
Elles ont vu une opportunité derrière la justification du risque : puisque les motards étaient considérés comme de dangereux citoyens, ils devaient payer plus, et on devait sanctionner les “mauvais risques” qu’ils représentaient.
Si bien que certaines assurances faisaient payer jusqu’à 12 000 francs par an aux motards qui souhaitaient se protéger, d’après un témoignage que l’on retrouve dans le passionnant livre Chronique d’une Utopie en Marche.
Il n’en fallu pas plus pour soulever la colère des motards.
Dans l’œil du cyclone, ils ont décidé de se révolter. C’est à cette époque que de nombreux clubs motocyclistes se sont fondés, pour rassembler les forces vives et défendre les intérêts des motocyclistes.
Et c’est à cette époque qu’un club motocycliste en particulier est né, qui a mené l’expérience dont j’aimerais traiter aujourd’hui : la Fédération Française des Motards en Colère qui a inventé la géniale Mutuelle des Motards.
La Mutuelle des Motards
Je ne vais pas vous retracer l’histoire des contestations motardes de la fin des années 70. C’est une histoire passionnante qui est retracée dans le livre que j’ai cité plus haut, et qui n’est pas sans rappeler quelques soulèvements populaires récents.
Si vous souhaitez vous plonger ou vous replonger dans cette épopée qui a fini par avoir raison de l’injuste vignette, je vous conseille donc de vous offrir ce petit livre. Un chapitre complet y est consacré, sur la base d’un travail remarquable de documentation.
En revanche, ce qui m’intéresse est dans la suite du triomphe populaire.
À force de contestations, le gouvernement de l’époque est revenu sur ses pas et a accepté d’annuler son projet de vignettes moto. En revanche, cette victoire n’a rien changé à la relation des assurances aux motards.
Ces dernières, malgré le volte-face du gouvernement, n’ont pas arrêté de considérer les motocyclistes comme de “mauvais” assurés. Et par là, elles ont conservé leur politique abusive de prix.
La situation, donc, n’était pas encore au beau fixe pour les clubs motocyclistes.
Car s’ils avaient gagné un premier combat pour se donner un peu d’air, leur gorge était encore prise dans un étau réputé incassable. Mais ragaillardie par la récente victoire, une association motarde a décidé de prendre la mouche.
Je parle évidemment de la Fédération Française des Motards en Colère (FFMC) qui devait faire honneur à son nom. Un nom qu’on pourrait presque croire hérité de l’Homme Révolté de Camus, qui nous exhorte à nous soulever contre l’absurdité de l’existence.
Et si l’absurdité de l’existence se manifeste par d’absurdes assureurs, qu’importe !
Il était hors de question de continuer à se laisser marcher dessus.
Ils se sont alors rassemblés, pour identifier comment ils pouvaient faire la nique à leurs bourreaux. Dans l’idéal, leur idée était de créer une compagnie d’assurance qu’on qualifierait aujourd’hui de “moto friendly”.
Mais rapidement, ils ont compris que cette compagnie d’assurance serait extrêmement complexe à mettre sur pied.
Car pour avoir l’agrément (et donc l’autorisation d’assurer des motocyclistes), ils devaient présenter un fond de garantie de 10 millions de francs. Or ils connaissaient le climat de leur époque : aucune banque ne donnerait son accord pour les financer. On ne donne pas d’argent à de dangereux fous de volant (ou du guidon). C’est évident.
Ils ont alors sondé l’autre solution à leur portée : la Mutuelle.
Son principe consiste à court-circuiter le besoin de fonds venant de l’extérieur pour fournir le fond minimum de garantie, en demandant une souscription de la part de ses assurés. C’est une sorte de pot commun, où la solidarité prime sur les bénéfices.
Forts de cette nouvelle direction, les membres de la FFMC ont lancé leur campagne, avec 2 objectifs : réunir 40 000 souscripteurs à 250 francs par tête, et trouver une mutuelle déjà existante pour s’y adosser.
Au début, personne n’y croyait. Pas mêmes les membres du la FFMC.
Mais après 2 ans d’un travail acharné, la FFMC avait réussi à récolter 10 millions de francs auprès de ses contributeurs, et à convaincre le secrétaire général d’un grand groupement de mutuelles de les soutenir.
Si bien qu’à l’été 1983, le journal officiel a fini par publier l’invraisemblable : la Mutuelle des Motards était née.
Et par sa naissance, elle permettait enfin aux motocyclistes de s’assurer avec justice, sans discrimination.
Nous sommes 30 ans plus tard.
Depuis, la Mutuelle des Motards a permis de secouer le cocotier des assureurs, qui ont largement abaissé leurs tarifs. Et avec plus de 300 000 assurés, la Mutuelle des Motards est devenue le 4ème assureur de motos en France.
D’une colère populaire est donc né un service utile, qui a su faire bouger des lignes jusqu’alors sclérosées, et qui perdure encore. Avec son épopée, la Mutuelle des Motards a montré qu’il était permis d’espérer des progrès, en rassemblant nos forces.
Une expérience inspirante
En somme, cette aventure est une expérience populaire, comme l’industrie automobile en a le secret. Par sa prévalence dans nos vies, cette industrie justifie les mobilisations les plus massives, pour aboutir parfois à des miracles improbables.
Forcément, cette expérience m’a beaucoup inspiré.
Et puisque l’industrie automobile est encore sclérosée en de nombreux endroits, j’ai voulu intégrer un peu de la Mutuelle des Motards dans Ambre (l’entreprise que j’ai créée avec
pour construire nos groupes motopropulseurs).Ça s’est traduit par la création il y a exactement 3 ans du Club des Pionniers.
Un Club qui s’inspire sans se cacher des clubs qui ont été créés à l’époque que j’ai décrite plus haut. Et qui cherche à rassembler celles et ceux qui ont vraiment envie de bousculer l’industrie de la mobilité.
Un Club d’ingénieurs, de concepteurs et de passionnés.
Mais ce Club, depuis sa naissance, a été le lieu de quelques expériences. Dont une qui va prendre fin dans les prochaines semaines, laissant entrevoir un nouveau virage dans la vie du Club des Pionniers.
J’en parlerai plus en détails dans le rapport hebdomadaire de ce dimanche, que je destine à tous les membres du Club des Pionniers. Si vous voulez joindre ce groupe d’enthousiastes et connaître les détails de cette expériences, rejoignez-nous.
Je vous le garantis, vous ne serez pas déçus :
Alors à ceux qui nous rejoindrons d’ici là — et aux membres du Club des Pionniers — je vous dis à dimanche. Et aux autres, je vous souhaite un très bon week-end !
Bonne fin de journée,
Julien