La norme NF C18-550 : un risque pour notre prototype ?
La norme NF C18-550, l'habilitation B2TL, et ce que nous impose la loi
Temps de lecture : 10 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 216 pionniers.
Salut à tous,
C’était lors d’une réunion en visioconférence, consécutive au premier confinement.
Par une concordance des éléments que je ne saurais pas vous décrire tellement elle me paraît improbable, j’ai été convié à une visioconférence avec l’ancien directeur technique de Renault.
Dit comme ça, il y a déjà de quoi intimider le plus confiant d’entre nous.
Mais ce n’est pas tout.
Car ce n’était pas n’importe quel ancien directeur technique de Renault. C’était celui qui avait propulsé la Twizy. Ce quadricycle léger improbable et qui deviendra sans doute légendaire, c’était son bébé à lui.
C’était un véhicule follement novateur — et malgré le flop monumental que ça a été, j’ai toujours eu un énorme respect pour la vision qu’il a tenté de porter chez un constructeur pourtant pas connu pour ses ruptures technologiques.
Me retrouver en tête en tête virtuel avec lui, c’était donc un événement.
Nous avons donc discuté de mobilité électrique, nous tutoyant comme si nous nous connaissions depuis toujours.
Et sans surprise, j’ai passé la réunion à boire ses paroles, abasourdi qu’il prenne le temps de discuter avec un jeune ingénieur encore très inexpérimenté dans son domaine de compétence.
Puis au cours de la conversation, je me souviens qu’il a asséné un impératif qui n’a cessé de résonner dans ma tête depuis.
Cet impératif, vous le connaissez déjà, car je vous l’ai rabattu mille et une fois. Mais aujourd’hui, vous saurez que cet impératif a en réalité pris sa source dans une discussion que j’ai eue avec le Monsieur Twizy de Renault.
Voilà à peu de chose près ce qu’il m’a ordonné :
“Julien, il faut toujours rester en-dessous de 60V pour un véhicule léger. C’est mon conseil le plus important. Reste en-dessous de 60V pour satisfaire la norme très basse tension.”
Forcément, cet impératif m’a marqué.
Car vous le savez, nous avons pris toutes nos décisions pour satisfaire cet impératif, et nous ne l’avons jamais discuté. Le problème, c’est que cet impératif est discutable.
Ou plus précisément, il mérite d’être précisé.
La norme NF C18-550
D’abord, commençons par les raisons qui nous ont poussés à écouter religieusement cet impératif.
La première, c’est la létalité d’une éventuelle électrisation avec notre batterie.
La norme Très Basse Tension de Sécurité (“TBTS”) nous apprend qu’une source de tension produisant une tension continue de 60V ne sera jamais létale pour ceux qui prendront un coup de jus.
Comme nous pensons que la sécurité des groupes motopropulseurs est une condition sine qua non de la massification des véhicules électriques, nous avons donc décidé de nous soumettre à cette limite.
Pas plus de 60V donc, pour n’électrocuter personne.
De cette manière, on s’offrira la possibilité de laisser l’accès libre à tous ceux qui voudront mettre la mains dans notre groupe motopropulseur. Et on s’autorisera à vendre nos groupes motopropulseurs en tant que kits retrofit si nous trouvons ça pertinent, par exemple.
Ça, c’était pour la première raison qui nous a convaincus de suivre l’impératif des 60V.
La deuxième raison est intimement liée à la première raison. Mais elle est un peu plus fine, puisqu’elle consiste à se mettre en règle avec une autre norme : la norme NF C18-550.
Son titre : “Opérations sur véhicules et engins à motorisation thermique, électrique ou hybride ayant une source d'énergie électrique embarquée - Prévention du risque électrique”.
En termes plus pragmatiques, cette norme est celle à laquelle nos usines d’assemblage devront se soumettre, ainsi que les opérateurs qui s’occuperont de la maintenance de nos motos électriques.
Ce qu’elle stipule est résumé dans un document publié par l’Assurance Maladie, qui a fait l’exercice pour nous d’en extraire la sève et de nous l’offrir dans une image :
Ce que nous pouvons en comprendre est simple.
D’abord, n’importe quelle entreprise dont l’un des métiers est de manier des composants électriques (avec connectique protégée ou non) est censée former ses employés exposés.
Ce n’est absolument pas une surprise, mais c’est une obligation légale.
Rien de très exigeant néanmoins, puisque cette formation minimale ne dure qu’une heure et n’est suivie d’aucune obligation d’habilitation. On dit alors que la personne formée est “avertie” aux risques électriques.
Ensuite — et bien plus important pour nous — l’image nous apprend que :
Si notre batterie délivre une tension inférieure à 60V et que sa capacité est inférieure à 10,8 kWh, alors les opérateurs exposés n’auront pas besoin de formation supplémentaire à la sécurité.
Si notre batterie délivre une tension inférieure à 60V mais que sa capacité dépasse 10,8 kWh (et qu’elle est inférieure néanmoins à 16,5 kWh), alors les opérateurs exposés devront suivre une formation supplémentaire de 1h30.
Enfin, si notre batterie délivre une tension supérieure à 60V ou que sa capacité est supérieure à 16,5 kWh, alors les opérateurs exposés devront suivre une formation complète et être habilités B2TL après validation par un formateur extérieur référant.
Dans nos usines d’assemblage, cette hiérarchie de la formation n’est pas vraiment une contrainte. Car il serait absurde de refuser les formations et les habilitations électriques aux personnes en contact avec nos batteries.
En revanche, cette hiérarchie pose un plus grand problème dans la maintenance.
Car elle implique que si nos batteries dépassent 60V ou 16,5kWh, alors tous ceux qui s’occuperont de la maintenance de nos groupes motopropulseurs devront avoir l’habilitation B2TL.
Ce qui réduit drastiquement l’offre potentielle de maintenance pour nos groupes motopropulseurs.
Et quand on sait que l’un des talons d’Achille des véhicules légers contemporains est dans leur Service Après Vente, on comprend qu’on serait bien inspirés de maximiser les acteurs susceptibles de maintenir nos motos.
Et ce dont je suis sûr, c’est qu’il est peu probable que tous les garagistes deviennent B2TL du jour au lendemain.
C’est pour cette raison que, vraiment, rester en-dessous de 60V est un impératif auquel nous devons nous soumettre.
Le problème, c’est que notre batterie produit parfois plus de 60V.
60V en nominal ≠ 60V tout le temps
La tension nominale de notre batterie est de 57,6V.
Si la norme NF C18-550 se limitait à conditionner l’habilitation des opérateurs selon la tension nominale des batteries, nous serions en conformité idéale avec cette norme.
Hélas, ce n’est pas le cas.
La norme NF C18-550 est beaucoup plus littérale : elle se contente de stipuler que pour s’éviter l’habilitation obligatoire pour tous les opérateurs exposés au risque électrique, la tension ne doit pas dépasser 60V.
Elle se moque de la tension nominale.
Elle, son dada, c’est la tension maximale.
Et manque de chance, la tension maximale de notre batterie est effectivement supérieure à 60V : elle est de 67,2V.
La tuile.
Car la tension délivrée par une batterie dépend en effet de son état de charge. Sa tension évolue donc, et n’est malheureusement pas constamment égale à sa tension nominale.
En détails, voilà à quoi ressemble la courbe de la tension aux bornes de notre batterie en fonction de son état de charge :
On le voit bien, cette tension part de 50V à 0% et augmente petit à petit pour dépasser les 60V fatidiques à environ 60% d’état de charge.
Ce qui implique que quiconque mettra ses doigts dans notre batterie chargée à plus de 60V prendra un risque pour son intégrité physique. Et que quiconque le fera dans le cadre de son travail devra être habilité B2TL pour se conformer à la norme NF C18-550.
Vraiment, c’est la tuile.
Car jusqu’à présent nous nous étions contentés de ne regarder que la tension nominale de notre batterie. Alors que les normes, elles, se moquent éperdument de nos complexités de raisonnement.
Elles fixent un cadre rigide et elles nous ordonnent de nous y conformer, sans discuter.
Et ce faisant, elles s’apprêtent à nous causer des migraines cornéliennes. Car nous n’en démordrons pas, nous voulons nous conformer à cette norme, pour les raisons que nous avons vues plus haut.
D’autant que si nous nous contraignons avec une tension nominale de 60V mais que nous n’en tirons aucun profit en termes de facilité de maintenance, il apparaît inutile de s’embêter autant.
Dès lors, comment faire ?
Voilà mon idée
Vous me direz ce que vous en pensez.
Pour nous conformer à la norme NF C18-550, mon idée est de détricoter une observation.
Cette observation, c’est que quel que soit le niveau de tension de nos batteries, il n’est pas nécessaire d’habiliter B2TL ceux qui la manient si ses connectiques sont protégées en IP2X.
Or notre groupe motopropulseur sera totalement étanche — donc soit IP66, soit IP67.
Il satisfera donc largement la protection IP2X, étant donné que les protections IP66 et IP67 sont d’un stade plus élevé.
Dès lors, la marche à suivre me paraît très simple : il suffit de prévenir ceux qui mettront les mains dans notre batterie qu’au-delà de 60% d’état de charge, ils prennent un risque pour leur vie. Alors que s’ils vident la batterie en-dessous de 60%, ils pourront en faire ce qu’ils souhaiteront.
Sans risque d’électrocution, et sans obligation légale pour leur employeur de leur délivrer l’habilitation B2TL.
C’est aussi simple que ça.
(Et ça va de soi, ceux qui s’occuperont de l’assemblage de nos batteries auront passé cette habilitation.)
Il me semble que cette idée rassemble le meilleur des 2 mondes :
On peut toujours utiliser notre batterie même si elle dépasse les 60V au-delà de 60% d’état de charge ;
Mais on n’oblige pas les garagistes à être habilités B2TL pour s’occuper de la maintenance de nos groupes motopropulseurs.
Comme je ne suis pas juriste, je vais évidemment vérifier la validité légale d’une telle idée.
Mais avant ça, j’ai bien envie de savoir ce que vous en pensez. Car je sais que parmi vous, nombreux sont ceux qui ont une expérience sur ces sujets de conformité légale.
Alors j’espère lire vos retours et vos lumières, comme toujours.
Et en attendant, je vous souhaite un très bon dimanche !
Julien