Arrêtons de mentir sur l'autonomie réelle
Le jeu de dupes auquel les autres constructeurs s'amusent
Temps de lecture : 10 minutes.
Cet e-mail est destiné aux 63 pionniers.
Mercredi dernier, nous vous avons envoyé notre grande enquête sur l’autonomie des motos 125.
Son objectif : fixer l’autonomie de notre prototype sur la base de ce que les vrais motards en pensent, afin d’éviter les hypothèses biaisées.
Si vous n’y avez pas encore participé, vous pouvez nous donner vos lumières, en répondant (en moins d’une minute) aux 3 questions de notre enquête. Merci pour votre aide !q
Salut à tous,
Je n’en étais pas bien sûr il y a quelques temps, mais maintenant je peux vous l’assurer : l’autonomie promise par les constructeurs de motos électriques est un jeu de dupe sublime.
Je me demande d’ailleurs comment ça peut être légal d’en arriver là.
En effet, j’ai l’impression qu’aucun constructeur n’a la cran de donner l’autonomie réelle des modèles qui peuplent leur gamme.
Même Zero Motorcycles, les pionniers de la moto électrique, ne font pas exception. Ils sont d’ailleurs les plus inventifs sur la mesure de l’autonomie.
Car leur méthode de mesure de l’autonomie en usage combiné est de l’ordre du divin.
Pour ne pas gâcher le plaisir, je vous cite ce qu’ils écrivent sur les pages de présentation de leurs modèles, à côté de l’autonomie :
“[L’autonomie est mesurée avec] une utilisation constituée de 50% d’arrêts et redémarrages et 50% sur route à une vitesse constante de 89 km/h.”
Je n’ai pas changé une seule virgule.
Ils mesurent réellement l’autonomie de leurs motos en combiné avec cette hypothèse-là — ce qui leur permet de garantir une autonomie de 217 km en combiné pour la Zero S 14.4, leur modèle phare.
217 km !
C’est rassurant, non ?
D’autant qu’après avoir lu les premiers résultats de notre enquête sur l’autonomie des 125, je sais que cette autonomie de 217 km n’est pas loin de l’autonomie idéale selon 80% des motards.
Sauf que quand on lit la méthode de mesure de cette autonomie, il y a de quoi se méfier : je connais très peu de monde dont l’usage est de rouler la moitié du temps à une vitesse parfaitement constante de 89 km/h.
Et ce doute peut très facilement se transformer en suspicion de malhonnêteté auprès des motards.
Car vous savez autant que moi que beaucoup de motards accusent les constructeurs de les prendre pour des pigeons. Ce qui leur vaut d’être assez vindicatifs envers ceux qui croient dans la mobilité électrique.
Leurs revendications sont nombreuses.
Parmi elles, on trouve la sempiternelle (et vraie) dénonciation du déplacement de la pollution vers les lieux de fabrication. Mais on trouve aussi l’insinuation que les autonomies annoncées sont toujours surévaluées.
Et nous, qui connaissons les bénéfices de la mobilité électrique, sommes démunis.
Car ces opposants irrités n’ont pas toujours tort. Et les constructeurs ne nous aident pas, puisque les mensonges semblent être devenus monnaie courante dans leur marketing.
Dès lors, Zero Motorcycles ferait partie de l’équipe des cyniques ?
Difficile à dire.
Mais ce dont je suis sûr, c’est que la Zero S 14.4 n’est en aucun cas capable de rouler 217 km en combiné. J’en suis sûr car j’ai interrogé une petite dizaine de propriétaires de Zero S.
Et voilà ce qu’ils en disent :
“Ne faisant presque que de la voie rapide (et cela étant le point noir de l’électrique) je n’ai jamais dépassé les 120 km. Je préfère me garder une marge de sécurité en cas de détours ou de problème.”
— Kevin, propriétaire d’une Zero S 14.4.
“Si je m’amuse un peu, l’autonomie baisse de manière assez forte autour des 75 km, ce qui reste pour moi toujours largement suffisant.”
— Matthieu, propriétaire d’une Zero S 7.2 (donc il faut multiplier l’autonomie par 2, soit 150 km).
(Vous pouvez retrouver ces 2 témoignages dans mon article consacré à la Zero S.)
Ces autonomies, même si elles ne sont pas ridicules, sont quand même très éloignées des 217 km promis.
Et on ne peut pas dire que ce soit une erreur malencontreuse, car quand on se trompe de presque 50%, c’est qu’on l’a fait exprès.
La seule chance de Zero Motorcycles dans cette histoire, c’est qu’ils sont sympas.
Ce sont eux qui ont permis à la moto électrique d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Donc Kevin et Matthieu ont la souplesse d’esprit de ne pas leur en tenir rigueur. Mais tout le monde n’a pas la même noblesse que Kevin et Matthieu.
Et même si c’était le cas, il est impensable de banaliser le mensonge.
Il s’agirait donc pour nous de ne pas reproduire cette erreur. Et ça commence maintenant, avec un outil qui nous servira très (très) souvent.
Mon outil d’estimation de l’autonomie
Si je dis que je vais m’en servir souvent, c’est pour une raison très simple.
C’est que cet outil est la dernière pièce du puzzle de notre batterie. En effet, si on récapitule les dernières semaines, voilà ce que nous avons fait :
Nous avons étudié toutes les technologies de batteries selon 4 axes (performances, usage, prix, impact environnemental) ;
Nous avons décidé de privilégier les batteries lithium-ion LFP et les batteries sodium-ion qui garantissent le plus faible impact environnemental mais qui affichent des performances modestes ;
Nous avons conditionné ce choix à leur capacité à satisfaire une autonomie raisonnable ;
Et nous avons demandé aux motards ce qu’ils pensaient être une autonomie raisonnable.
À ces 4 étapes, il en manquait évidemment une dernière : calculer une autonomie prévisionnelle fiable de notre modèle.
Car si on est incapables de faire ça, tout notre cheminement tombe à l’eau.
Pour cause, si notre calcul nous donne une autonomie de 217 km mais que notre moto n’est capable que de 120, c’est qu’on est de piètres concepteurs.
J’ai donc produit cet ultime effort pour le bien de notre batteries.
Et j’ai entré dans cet outil tout ce dont je vous ai parlé depuis quelques mois pour coller au mieux à la réalité — et ne pas reproduire les erreurs de Zero Motorcycles.
Vous pouvez retrouver l’outil dès à présent, c’est par ici :
Un cycle de test, et 11 informations
Pour concevoir cet outil, la première étape a été de trouver un cycle de test pertinent.
Vous avez certainement entendu parler de ces cycles WLTP, NEDC qui sont censés reproduire un parcours de vitesses représentatif de l’usage de tout un chacun. Ce sont généralement sur ceux-là que les constructeurs se basent pour calculer l’autonomie.
(Enfin pas tous les constructeurs, puisque nous avons vu Zero Motorcycles utilisaient une méthode un peu plus personnelle.)
Mais le problème de ces cycles — WLTP et NEDC — c’est qu’ils ne me semblent pas vraiment représentatifs de l’usage d’une moto électrique. Ce qui est dommage quand on souhaite justement faire un calcul prévisionnel de l’autonomie réelle.
Alors j’ai fouillé la littérature scientifique sur le sujet.
Et je suis tombé sur le cycle UDDS, pour “Urban Dynamometer Driving Schedule” :
Comme son nom l’indique, il est plutôt orienté vers un usage urbain.
Mais ce qui me plaît chez lui, c’est qu’il est relativement sévère, qu’il comporte quelques minutes à 90 km/h et qu’il est assez court pour être répété plusieurs fois (il dure 12 km, il est donc répété 10 fois pour une autonomie de 120 km).
Il est évidemment améliorable, et je pense que je finirai par chercher un cycle encore plus représentatif.
Mais pour l’heure, c’est lui qui me paraît le plus à même de me donner une information sur l’autonomie d’une moto électrique en mode urbain mixte.
Et je lui pardonne sa grande présence en dessous de 50 km/h en me rappelant que ce qui aspire le plus d’autonomie est dans les accélérations (et non pas dans les vitesses à 90 km/h).
La suite a été de se fixer sur une moto à étudier, pour valider mon outil.
Sans surprise, j’ai opté pour la Zero S 14.4, dont je connais l’autonomie réelle en combiné (environ 150 km).
J’ai alors récupéré toutes les informations dont j’avais besoin :
Couple maximum ;
Puissance maximale ;
Régime à la puissance maximale ;
Régime maximum ;
Poids de la moto ;
Poids du motard ;
Capacité de la batterie ;
Rapport de transmission ;
Mode de transmission ;
Caractéristique du pneu arrière ;
Présence d’une régénération.
(11 informations, rien que ça. C’est dans ces moments qu’on comprend qu’on entre dans les choses sérieuses.)
Puis j’ai procédé à de nombreux calculs, pour autant de migraines.
Je ne vais pas entrer dans les détails, car c’est extrêmement dense. Mais en résumé, voilà comment je m’en suis sorti :
Pour chaque vitesse du cycle UDDS, j’ai calculé la puissance qu’il fallait pour que la Zero S atteigne ces vitesses (en calculant les 3 efforts de résistance — aérodynamique, résistance au roulement, accélération).
Puis j’ai dessiné la courbe caractéristique du moteur pour voir s’il était capable de fournir la puissance désirée au régime désiré.
J’ai ensuite intégré les pertes dues au rendement inégal du moteur, celles dues à la transmission, et celles liées aux intermédiaires entre la batterie et le moteur.
Et j’ai fait l’hypothèse sur la base de l’Audi e-Tron que la régénération d’énergie au freinage permettait d’augmenter l’autonomie de 43%.
Après tout ces calculs, j’ai alors pu obtenir un résultat qui m’a plutôt bien convenu.
Car selon mon outil, l’autonomie réelle en “combiné” de la Zero S 14.4 est de 146 km. Ce qui n’est vraiment pas loin de l’autonomie constatée par Kevin et Matthieu, malgré toutes mes hypothèses de calcul.
Bingo, cet outil fera l’affaire !
C’était le dernier maillon de la chaîne
Avec cet outil, j’ai tous les éléments à ma disposition pour choisir la technologie de batterie la plus pertinente.
Car en connaissant la densité énergétique de nos cellules et l’autonomie qu’on veut garantir, on va pouvoir calculer le nombre de kWh qu’on devra installer sur notre moto.
Si ça aboutit à un non-sens (trop lourde, trop chère), on saura qu’il faut faire demi-tour.
Mais si ça nous amène à un poids raisonnable, un volume acceptable et un prix digérable, on ne se posera plus de questions : on foncera bruyamment.
Mais j’ai un bon pressentiment sur tout ça !
Bon dimanche,
Julien
P.S. : Cet outil ne m’est pas seulement destiné. Il peut vous servir à plusieurs titres :
D’abord pour avoir une information plus crédible sur l’autonomie des motos électriques qui vous donnent envie ;
Ensuite pour observer les différences d’autonomie générées par le changement des paramètres de votre choix (poids, couple, roue, transmission, etc.) ;
Et enfin pour garder un œil critique sur mon travail, afin de me rappeler à l’ordre si je pars dans une direction aberrante en termes d’autonomie.