Temps de lecture : 15 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 218 pionniers.
Salut à tous,
Voilà 2 semaines que je me consacre en grande partie à des appels en visio.
Je ne dirais pas que je n’aime pas ces moments, mais j’en ressors toujours absolument lessivé. Il faut dire que ces appels en visio sont probablement les appels les plus importants de la courte vie d’Ambre.
Et pour cause : si je les rate, je mets en risque l’espérance de vie de notre entreprise.
Les gens avec qui je partage ces appels ont en effet quasiment un droit de vie ou de mort sur Ambre. Car ces gens, ce sont nos partenaires industriels clés, nos fournisseurs principaux sur lesquels repose notre modèle industriel.
Évidemment, j’exagère en disant qu’ils ont droit de vie ou de mort sur nous. On peut toujours trouver un moyen de rattraper une bévue, ou de trouver une fournisseur alternatif.
Mais ces fournisseurs, nous voulons absolument travailler avec eux.
Je pense par exemple à Indra Automobile Recycling, qui appartient à Renault et dont le réseau récolte 38% des véhicules hors d’usage (VHU) en France. Travailler avec eux, c’est donc à la fois travailler avec le leader français des VHU et mettre un doigt dans l’écosystème de Renault.
Je pense aussi à Norsk Hydro, une immense entreprise spécialisée dans l’aluminium, avec qui nous étudions en ce moment la pertinence de l’extrusion d’aluminium pour fabriquer l’intégration mécanique de la plateforme que nous concevons en ce moment.
Enfin, je pense à Mahle, qui est le seul acteur qui fabrique des moteurs à induction dans notre gamme de puissance en Europe, et avec une capacité de déploiement industriel à la mesure de nos ambitions.
Les visios que je partage avec ces 3 acteurs depuis 2 semaines sont donc critiques.
Mais d’une manière assez remarquable, les visios de ces dernières semaines se sont systématiquement très bien passées. Nous avons confirmé nos excellentes relations avec eux, et nous avons pu discuter sereinement de notre collaboration future.
Et pour illustrer cette fluidité épatante, j’aimerais aujourd’hui vous faire le récit de nos 2 ans de relation avec Mahle. 2 années de relation qui viennent de se fortifier depuis la semaine dernière.
Je ne vous l’ai jamais vraiment raconté
Ici, je réalise que je n’ai jamais pris le temps de vous raconter nos premiers échanges avec Mahle. Alors qu’à l’inverse, je n’ai pas attendu pour vous décrire l’évolution de notre relation avec Indra, notre autre partenaire industriel critique.
Qu’à cela ne tienne, je vais donc me rattraper dans ce rapport hebdomadaire.
Si je rembobine laborieusement le fil de mes souvenirs, mon premier contact avec Mahle date d’octobre 2021. À cette époque, j’avais déjà posé qu’il était absurde d’utiliser un moteur à aimants permanents sur un véhicule de puissance modeste.
Et j’avais aussi posé qu’il était tout aussi absurde de souhaiter se passer des terres rares chinoises contenues dans les aimants permanents, tout en en achetant un moteur chinois sans aimants permanents.
En octobre 2021 donc, je me suis lancé dans une recherche réputée impossible.
Celle de trouver un moteur européen, sans aimants permanents, avec un poids raisonnable, disponible sur étagère et dans la gamme de puissance d’une moto équivalente 125.
Évidemment, je n’ai pas trouvé de solution remplissant ces 5 conditions.
Mais à force d’entêtement, j’ai fini par trouver un moteur qui remplissait 4 de ces conditions : le moteur à induction de Mahle garantissait 15 kW en pic, il était fabriqué en Slovénie, et on le retrouvait sur tous les modèles Twizy.
Son seul défaut, vous le connaissez bien maintenant : il pesait 38 kg.
Ce qui est aussi mammouthesque qu’inacceptable sur un véhicule électrique léger comme une moto électrique. Mais sa plus grande qualité, vous la connaissez parfaitement bien aussi : c’est qu’il n’y avait pas mieux sur le marché.
Conscient de son défaut de poids, nous avons alors décidé tous ensemble que nous pourrions lui imposer une cure d’amincissement dans un second temps, en acceptant de faire ce compromis dans un premier temps.
Et c’est là qu’est arrivé le premier miracle du Club des Pionniers.
Pourquoi un miracle ?
Car Mahle est un équipementier de rang 1 (si vous ne vous souvenez pas bien de ce que ce terme veut dire, j’en ai parlé plus longuement ici), ce qui implique qu’il travaille quasi-uniquement avec les grands constructeurs.
Lorsqu’on est un petit acteur, n’ayant ni salarié, ni existence juridique comme c’était notre cas à l’époque, il est illusoire d’espérer travailler avec un équipementier de rang 1.
Pour cette typologie d’entreprises, on n’existe simplement pas.
On est comme la horde de hannetons qui se font écraser par les semelles humaines, tous les jours dans l’indifférence la plus totale. Nos cris et les craquements de nos abdomens torturés ne parviennent jamais aux oreilles de ceux qui croisent fatalement notre route.
Mais parfois, un miracle survient.
Pour les hannetons, ce miracle vient quand Romain Gary raconte l’anecdote de prisonniers en camps de la mort qui résistent à l’inhumanité de l’envahisseur en sauvant les hannetons coincés sur le dos.
Pour nous, ce miracle est venu quand un des membres du Club des Pionniers nous a signalé qu’il travaillait chez Renault, et qu’il avait de bonnes relations avec Mahle.
Après s’être révélé, il nous a proposé de faire l’intermédiaire. Il a alors contacté la personne chez Mahle en charge des collaborations avec Renault. Et il l’a convaincu de nous accorder une séance d’écoute de nos besoins.
Nous étions donc 3 pendant cette séance :
le membre du Club des Pionniers travaillant chez Renault (qui a toujours voulu garder son anonymat, mais je vous garantis que ce n’est pas Luca de Meo) ;
le contact de chez Mahle ;
et moi.
Et en moins de temps qu’il n’en faut pour signer un contrat de mariage, nous nous sommes serré la main.
Il était partant pour nous livrer un moteur, rassuré par notre bienfaiteur de chez Renault.
Il m’a quelques mois plus tard donné rendez-vous dans le centre Mahle France, à la périphérie de Lyon. Et en février 2022, le moteur à induction Mahle et son contrôleur trônaient dans notre atelier de Toulouse.
Le deuxième rendez-vous important
Pendant les 6 mois qui ont suivi la réception de ce moteur, je n’ai plus eu à discuter avec Mahle. Le contrat tacite qu’on avait passés était assez simple : on attendrait d’avoir fait fonctionner leur moteur pour leur donner des nouvelles.
Pendant 6 mois, nous avons donc travaillé en sous-marin.
Nous avons épluché la documentation qui était venue avec le moteur et le contrôleur, et qui indiquait comment les brancher avec les autres composants du groupe motopropulseur.
Ces 6 mois ont donc été consacrés au dessin du schéma de branchements de notre groupe motopropulseur.
Mais après 6 mois, nous nous sommes cognés à un mur.
Nous avions en effet retiré toutes les couches qui entouraient notre contrôleur, jusqu’à aboutir à sa forme la plus décharnée. Le problème, c’est que dans sa forme la plus décharnée, notre contrôleur était une boite noire.
Nous n’avions aucune capacité de comprendre ce qui se passait en son sein, aucune capacité de modifier son mode de fonctionnement, et aucune capacité de dialoguer avec lui.
En somme, nous ne pouvions que l’allumer et l’éteindre.
Dans un kit d’électrification à destination des particuliers, cette boite noire avait semblé suffisante à Mahle. C’est pour cette raison que dans un premier temps, ils avaient décidé de nous fournir avec ce boitier scellé.
Mais après ces 6 mois d’épluchage, nous avons compris que ça ne serait pas suffisant pour nous. Nous n’étions pas des particuliers — nous étions une entreprise à l’ambition industrielle. Nous ne pouvions pas nous satisfaire d’un coffre impénétrable.
C’est à ce moment que nous avons planifié notre deuxième rendez-vous avec Mahle.
L’objet de ce rendez-vous était limpide : les convaincre de nous partager le protocole de communication de leur contrôleur (comme un dictionnaire, en somme), pour que nous puissions dialoguer librement avec lui.
Lors de ce rendez-vous, un deuxième acteur de chez Mahle a alors fait son apparition.
Cet acteur est venu suppléer notre contact (qui n’est rien d’autre que celui qui est en charge des relations Mahle/Renault) pour donner son aval, en tant que responsable des moteurs fabriqués en Slovénie.
Cet acteur était donc un slovène.
Si je le précise, c’est car il a été l’archétype de l’éternel cliché de l’âme slave. Dostoïevski, s’il avait vécu à notre époque, aurait pu écrire l’échange qu’on a eus avec ce slovène tant il a été fidèle au caractère slave que le grand auteur a si souvent exalté.
Pour vous en convaincre, je crois qu’il suffit que je vous décrive la chronologie de la discussion.
Nous avons d’abord commencé, en moins de 3 minutes par nous présenter chacun à notre tour. Immédiatement après ces présentations protocolaires, le personnage d’Europe centrale a pris la parole.
Et en substance, voilà ce qu’il a dit :
— “Qu’est-ce que vous attendez de moi ? De quoi avez-vous besoin ?”
Ma réponse :
— “J’aimerais avoir accès au protocole de communication du contrôleur, si évidemment vous l’acceptez. Sinon, je pourrai me satisfaire d’un petit boitier que vous avez appelé…”
Il me coupe :
— “Pour ça, vous allez devoir signer un accord de confidentialité.”
— “Sans aucun problème, je signerai ce que vous voudrez. Merci pour votre aide, c’est absolument nécessaire pour nous de pouvoir comprendre ce qui se passe dans le contrôleur et d’ajouter une…”
Il me coupe à nouveau :
— “Alors je vous envoie ça. Bonne journée.”
Et après quelques secondes où il a attendu patiemment que nous clôturions en bons français cette conversation par des formules usuelles de politesse, il a raccroché. Quelques minutes plus tard, il m’envoyait l’accord de confidentialité à signer.
Peu loquace mais efficace — il a fait honneur à son héritage slave.
Ce qui m’a ravi, puisque malgré les apparences de bavardise dont j’ai fait montre, je n’avais moi non plus pas de temps à perdre. J’ai donc signé son accord de confidentialité, et j’ai reçu dans la foulée le protocole de communication du contrôleur.
Un dictionnaire dont
s’est généreusement servi pour faire fonctionner notre groupe motopropulseur comme nous le souhaitions.En somme, toute cette affaire été rondement menée.
Le dernier rendez-vous
Ce qui nous amène au dernier rendez-vous avez Mahle, que nous avons eu la semaine dernière.
Au cours de ce rendez-vous, nous avons retrouvé les mêmes interlocuteurs que la dernière fois, et nous avons été rejoints par
pour qu’il puisse leur faire un retour d’expérience.Mais à l’inverse de la dernière fois, ce rendez-vous n’était pas une formalité qui pouvait être réglée par une signature sur un Non-Disclosure Agreement.
Non, ce rendez-vous était un rendez-vous charnière.
Car l’objet du jour était consacré à discuter pour la première fois avec eux d’un sujet que nous avions jusqu’à présent glissé sous le tapis : celui de la masse éléphantesque de leur moteur.
Ou plus précisément, celui des pistes que nous pouvions activer pour aboutir à une masse raisonnable, en garantissant néanmoins une capacité d’approvisionnement industriel.
En résumé, nous ne savions pas à quoi nous attendre.
Alors comme tout bon élève qui ne sait pas à quelle sauce il va être mangé, j’ai pris la précaution de préparer ce rendez-vous longtemps à l’avance. Je me suis en effet mis en tête, au début de l’été, de faire une re-conception mécanique de notre moteur pour trouver les moyens les plus rapides de baisser son poids.
C’est donc ce que j’ai fait avec succès, puisque la cure d’amincissement du moteur lui a permis d’afficher 5 kg de moins sur la balance. Ce n’est pas exactement la panacée, mais c’est toujours ça de gagné.
Et quand le moment est venu de leur expliquer en visio nos enjeux d’amaigrissement, j’ai pensé que ce travail de pré-conception pourrait les rassurer en leur montrant qu’on a préparé le sujet.
Sauf que ce travail s’est avéré inutile en dehors du message de sérieux qu’il a renvoyé.
Car fidèle à l’idée que je m’en étais faite la première fois, notre interlocuteur slovène m’a impassiblement laissé déblatérer ce que j’avais préparé, puis il a pris la parole.
Et ce qu’il a dit a balayé respectueusement mon travail :
— “C’est très bien, mais nous avons travaillé sur une nouvelle génération de ce moteur à induction.”
— “Voilà une bonne nouvelle”, que j’ai dit.
Et lui, d’ajouter :
— “Envoyez-moi les spécifications techniques dont vous avez besoin. Nous les étudierons pour nous assurer que la nouvelle génération de ce moteur sera judicieuse. Et planifions une nouvelle réunion, dans 2 semaines, pour en discuter.”
Il n’a ensuite quasiment plus dit mot de la réunion, puisqu’il avait dit ce qu’il avait à dire.
Et nous voilà, aujourd’hui, à l’avant-avant-veille de la réunion susdite.
À nouveau, notre partenaire slovène a été d’une efficacité lapidaire. Mais à nouveau, cette efficacité lapidaire nous a rassurés, car elle a tendu dans la direction que nous cherchions à leur présenter : celle de la recherche d’un amaigrissement de leur moteur à induction.
Nous avons un avocat chez Mahle
On pourrait s’étonner de cette aisance de conviction que nous avons chez Mahle.
Car vraiment, nous sommes une anomalie dans la galaxie de clients de Mahle. Une entreprise de 3 personnes, dont seulement 1 salarié, ce n’est pas exactement le morphotype de partenaires habituels de Mahle.
Jusqu’à présent, je ne comprenais pas les raisons de cette exception que nous représentons. Vraiment, ça m’échappait.
Mais au cours de la dernière réunion, j’ai compris.
Car au cours de cette réunion, notre interlocuteur de chez Mahle France (celui qui est donc responsable des relations Renault/Mahle), a évoqué notre collaboration.
Ce qu’il a révélé est un éclaircissement très net du risque qu’ils acceptent de prendre avec nous. Il nous a en effet confié qu’il croyait énormément en notre projet. Et plus que d’y croire, il le trouve d’une utilité inhabituelle dans l’industrie automobile — allant même jusqu’à conclure que l’industrie a besoin de notre vision.
Voilà qui est élogieux.
Et voilà, surtout, qui explique la facilité avec laquelle on a réussi jusqu’à présent à obtenir ce que nous souhaitions chez Mahle : nous avons trouvé chez eux un avocat, qui défendra notre cause car il s’est entiché de notre mission.
Il a décidé qu’on devait parvenir à nos fins, car il y a trouvé un intérêt pour le bien commun. Et il a décidé qu’il nous aiderait, manifestement, à mettre tout en œuvre pour que Mahle puisse nous accompagner dans la réalisation de notre mission.
C’est une grande leçon qu’il nous a faite en disant ses mots.
Car il nous a montré que malgré la taille immense de ces groupes industriels automobiles, ce qui fait fonctionner leur machine est toujours l’humain. Et pour convaincre ces grands groupes, il suffit en réalité de convaincre un humain.
Un seul suffit, pour faire pencher la balance.
Il reste évidemment une somme astronomique de travail pour arriver à réaliser nos objectifs. D’ailleurs, il n’est pas garanti que la nouvelle génération de moteurs à induction de Mahle affiche les bonnes caractéristiques techniques pour notre usage.
Mais aujourd’hui, je le vois plus que jamais : nous avançons, petits pas par petits pas, piano ma sano, vers l’objectif que nous nous fixons.
Un objectif qui consiste à répondre avec les outils de l’industrie à un enjeu de civilisation.
Voilà qui est ambitieux.
Bon dimanche,
Julien
Il ne manque plus que Renault construise des voitures electrique dont les batteries sont prévues pour la réutilisation. Un bon argument de vente pour eux et une meilleur source pour nous !
Pour moi la bonne nouvelle c'est quand je lis:
"L'industrie a besoin de votre vision." Franchement cela me rassure car je suis toujours dans l'expectative quant à savoir si ce projet est transposable dans le mental de la société en générale:
Accepter que l'electromobilité légère ait toute sa place dans le monde qui nous attend.
Si L'industrie s'y intéresse c'est probablement que c'est une réalité possible.