Temps de lecture : 14 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 204 pionniers.
Salut à tous,
Il y a 2 semaines, je vous présentais les 9 commandements design auxquels notre prototype industriel devra se soumettre.
9 commandements auxquels se sont ajoutés 2 nouveaux commandements, grâce aux nombreuses discussions que j’ai pu avoir avec vous, et aux suggestions que vous avez pu me faire. 11 commandements donc, qui joueront le rôle d’arbitre quand nous devrons trancher des dilemmes complexes pendant la conception de notre prototype industriel.
Car pour statuer sur la nécessité de telle ou telle fonctionnalité, il suffira de se demander si ladite fonctionnalité répond à l’un de ces 11 commandements.
Si c’est le cas, bingo — la fonctionnalité sera validé, et elle sera intégrée à liste des fonctionnalités à développer sur notre prototype industriel. Si ce n’est pas le cas, tant pis. Nous devrons la reléguer aux oubliettes, jusqu’à la prochaine moto que nous concevrons.
Cette réflexion que nous menons tous ensemble est tout à la fois excitante, chaotique et fastidieuse.
Mais quel pied pour tout concepteur !
Car ce que nous faisons ici, c’est dessiner les traits d’un véhicule qui roulera sur nos routes françaises pendant des décennies si nous faisons bien notre travail. Nous pouvons même rêver qu’un jour, cette moto sera légendaire pour certains connaisseurs qui se souviendront du chemin par lequel nous sommes passés.
Aujourd’hui, nous n’en sommes qu’aux débuts de ce rêve.
Mais semaine après semaine, nous le construisons patiemment, malgré les vents contraires et les tempêtes furieuses qui pavent notre chemin.
Ça a commencé avec le rapport hebdomadaire que je vous ai partagé il y a deux semaines, dans lequel je vous ai présenté la première partie de notre cahier des charges design.
Ce matin, je vous propose de poursuivre ce travail — et d’attaquer la deuxième partie de ce cahier des charges design.
C’est un exercice au long cours, qui s’étalera probablement sur plusieurs semaines, à différentes occasions, et sur des formats divers. Mais je dois vous le rappeler : cette méthode que je vous propose de suivre m’est personnelle. Vous voyez ici ma perception de ce que doit contenir un cahier des charges design, qui repose sur mon mode de pensée parfois très segmenté.
C’est donc une méthode imparfaite.
Mais c’est l’occasion de vous ouvrir les portes de mon cerveau, pour que vous puissiez comprendre mon fonctionnement, et m’aider à aboutir à la meilleure moto électrique.
J’aimerais donc que vous vous sentiez à l’aise pour participer, car ce que je vous présente ici est tout sauf professionnel et formel. C’est ce que les anglais appellent si bien un “work in progress”. Un chantier en cours, sincère et imparfait.
Cela étant dit, nous pouvons passer à la suite de l’exercice que je vous propose : définir les spécificités d’usage qui caractériseront notre prototype industriel. Un exercice qui soulève une quantité astronomique de questions — 41 questions, pour être précis.
La deuxième partie de ce cahier des charges design
La deuxième partie de notre cahier des charges design ne pourra pas être validé en un seul rapport hebdomadaire.
Car en théorie, la deuxième colonne du schéma que je vous partagé au début de ce rapport est sensée rassembler toutes les implications des 11 commandements de notre prototype.
Autant dire que c’est un travail colossal.
Un exemple évocateur de ce travail colossal peut être trouvé dans le 8ème commandement, qui traite de la capacité de notre moto électrique à nous accompagner dans nos achats quotidiens.
La question qui se cache derrière ce 8ème commandement concerne le volume de rangement que notre moto électrique doit embarquer. On pourrait formuler le problème ainsi : que veut-on faire rentrer dans notre coffre ?
Les réponses à cette question peuvent alors être multiples.
D’aucuns se satisferont du volume d’un petit vide-poche, certains voudront le volume d’un panettone milanais, et d’autres voudront glisser une raquette de badminton.
Chacun d’entre vous est donc libre de répondre à cette question, en s’appuyant sur les autres commandements que nous avons listés. Ainsi, nous nous assurerons de ne pas trahir la boussole que nous avons conçue tous ensemble.
Inutile de préciser que ce sera certainement un processus laborieux — c’est pour cette raison que cette réflexion s’étalera donc sur plusieurs semaines.
Mais nous ne le regretterons pas.
Car après la construction pénible et longue de ce cahier des charges, nous verrons se dresser l’ombre chinoise de notre moto électrique. Nous aurons devant nous un tableau impressionniste de notre moto électrique, dont nous pourrons déceler la silhouette.
En somme, aujourd’hui nous faisons du BTP : nous construisons notre palais avec la patience du Compagnon du Devoir.
Les 41 questions des 11 commandements
Sans plus de circonvolutions, voici la liste des 11 commandements design — et les 41 questions qui m’occupent en ce moment l’esprit.
1. Notre moto électrique doit se destiner tant aux hommes qu’aux femmes
Cet impératif me semble soulever des questions purement volumiques.
Je veux dire que, si on en revient à la racine de ce qui empêche les femmes de rouler sur de nombreuses motos qui sont aujourd’hui disponibles sur le marché, on réalise que le problème est souvent dans la hauteur et dans le poids de la moto.
Et pour cause : je ne vous l’apprends pas, mais les femmes sont en moyenne plus petites que les hommes (1m64 contre 1m77), et elles sont en moyenne moins puissantes (la puissance des femmes est plusieurs dizaines de pourcents inférieure).
Une moto qui s’adresse autant aux femmes qu’aux hommes doit donc intégrer ces différences.
En particulier, voilà les questions qui me viennent à l’évocation de cette exigence :
D’abord, quel est la fourchette des tailles de motocyclistes auquel on souhaite s’adresser ?
En conséquence, quelle est la hauteur de selle idéale pour répondre à toutes les tailles de cette fourchette ?
Mais pour ceux qui sont en dehors de cette fourchette, doit-on intégrer une possibilité de régler la hauteur de selle ?
Enfin, à partir de quel poids de moto considère-t-on que la moto est trop lourde pour les petits gabarits ?
2. Notre moto électrique doit répondre aux navetteurs
Ce commandement est sans doute celui qui positionne le plus notre moto en rupture avec le reste du marché, qui s’adresse beaucoup plus aux métropolitains. Il s’agit donc de le traiter rigoureusement pour identifier les bonnes questions qu’il entraîne dans son sillage.
Et pour ce faire, rappelons que les navetteurs sont les usagers de la route qui ont le plus de besoin à satisfaire, mais qui sont en même temps les usagers qui ont le moins de solutions à leur disposition.
Plus précisément, ils n’ont qu’une solution : la voiture.
Si bien que s’adresser aux navetteurs, ça revient à chercher à remplacer la voiture. Ce qui soulève de nombreuses questions, tant le défi est de taille et multifactoriel :
Sur quelle distance moyenne notre moto doit être confortable ?
En conséquence, quelle est la position de conduite à adopter ?
Quel est le niveau de rangement dont un navetteur a besoin dans ses trajets quotidiens ?
Un câble de recharge doit-il être glissé dans les rangements de la moto ?
Un anti-vol doit-il être prévu pour assurer une sérénité optimale lorsque la moto est garée en dehors du champs de vision ?
3. Notre moto électrique doit être massifiable
Ce commandement, c’est la sève de notre projet.
Car à la fin, nous refusons de ne répondre qu’à une niche. Nous voulons participer à un changement majeur des transports routiers. Et par là, nous devons pouvoir fournir un moyen de mobilité à une large portion de la population.
Pour autant, ce commandement est sans doute le plus flou. Il est hautement abstrait.
Il est donc nécessaire de faire l’effort d’identifier les questions qu’il soulève. Et voilà celle auxquelles je pense :
À partir de quel prix peut-on considérer qu’un véhicule n’est plus adressé aux masses ?
Y a-t-il des esthétiques à éviter ?
Inversement, existe-t-il une esthétique universelle ?
4. Notre moto électrique doit être capable de rouler par tous les temps
Cet impératif est une suite logique des deux impératifs précédents : si notre moto supporte mal l’eau, alors elle ne pourra pas être utilisée tous les jours. Et ce faisant, elle ne sera qu’un piètre moyen de transport.
Si bien que cet impératif me semble engendrer les questions suivantes :
Quels sont les temps par lesquels notre moto doit pouvoir rouler, en particulier ?
À quel niveau notre moto doit-elle être étanche ?
Quel type de pneu doit être installé pour parer à toutes les conditions ?
L’ABS doit-il être installé ?
Quelles protections contre les intempéries ou le vent devons-nous intégrer directement dans la moto ?
Les rangements doivent-ils permettre le stockage de vêtements contre la pluie ?
5. Notre moto électrique doit être confortable à toutes les températures
De même, cet impératif est une variation de l’impératif précédent. Nul besoin de plus l’introduire, il me semble.
Voilà les questions qu’il m’inspire :
Devons-nous prévoir des poignées chauffantes ?
Devons-nous intégrer des protections pour briser les vents froids au niveau des jambes ?
Devons-nous prévoir un emplacement pour l’échangeur thermique des gilets chauffants-refroidissants que d’autres entreprises proposent ?
Les rangements doivent-ils permettre le stockage des vêtements de protection en été, afin de libérer les motocyclistes quand il fait chaud et qu’ils garent leur moto ?
6. Notre moto électrique doit être à l’aise autant sur route que dans les rues étroites
Ce commandement est une conséquence de notre ambition de répondre à l’usage des navetteurs : pour s’adresser à cette frange de la population mobilitaire, notre moto doit se spécialiser sur les terrains qu’ils empruntent au quotidien.
C’est-à-dire sur les périphériques, les nationales, les zones industrielles et certaines portions urbaines.
Ce qui m’évoque plusieurs questions :
Quel est l’empattement qui s’en sortira le mieux sur ce terrain double ?
Quel est le poids maximal autorisé pour maximiser la manœuvrabilité en zones urbaines ?
Quel est l’angle de chasse qui garantira à la fois une stabilité suffisante sur nationale et une réactivité satisfaisante dans les bouchons ?
Quelle est la taille de roues qui conviendra le mieux à l’empattement et à l’angle de chasse qu’on aura choisi ?
Quelle position de conduite est aussi confortable sur nationale qu’en ville ?
7. Notre moto électrique doit en priorité être spécialisée sur les trajets domicile-travail
Ici, on s’engage sur l’utilisation principale de notre moto électrique, qui est très utilitaire et qui consiste à franchir les kilomètres qui séparent le domicile du lieu de travail.
Et même si cette liste n’est pas exhaustive, voilà pour l’instant la seule question à laquelle je pense :
Où doit-on ranger les équipements de travail (par exemple ordinateur pour les cols blancs, et la veste de travail pour les cols bleus) ?
8. Notre moto électrique doit permettre les achats quotidiens
Je me trompe peut-être, mais selon moi, c’est encore et toujours une question de rangements :
Quel est le volume de rangement à prévoir pour les achats ponctuels ?
9. Notre moto électrique doit être suffisamment amusante en virées dominicales
Ce commandement suggère que notre moto reste une moto comme on les aime : c’est-à-dire capable de nous divertir de temps en temps. Et à moto, le divertissement ultime est celui de la sortie du week-end.
Ce qui soulève son lot de questions :
Quelle position de conduite est assez confortable pour rouler pendant plus d’une heure sans se briser le dos ?
Quel rangement est à prévoir en virée ?
10. Notre moto électrique doit pouvoir embarquer un passager
Les deux derniers commandements sont des commandements de dernière minute. Ce sont ceux ont été suggérés par vous — les Pionniers — en addition des 9 commandements que j’avais initialement identifiés.
Le premier est purement utilitaire. Mais il m’évoque plusieurs questions, car il est encore ambigu :
Souhaite-t-on une place confortable pour le passager ?
Quelle est la longueur de selle à prévoir ?
Quelle est la hauteur de selle à prévoir à l’endroit du passager ?
Doit-on prévoir des espaces pour que le passager s’agrippe autre part qu’au niveau du ventre du conducteur ?
Où positionner les repose-pieds du passager ?
11. Notre moto électrique doit être facilement réparable
Le second est un impératif que j’avais oublié, mais qui est hautement en résonance avec la mission que notre moto est censée remplir.
Il est en effet évident que si notre moto doit participer à la réduction de l’impact environnemental des transports, elle doit limiter la quantité de déchets qu’elle va produire.
Ce qui m’inspire plusieurs questions :
Est-ce que la réparabilité est compatible avec la présence de caches en plastique ?
En combien de minutes et avec quel équipement les batteries doivent être démontées ?
Quel accès donner à l’électronique de puissance ?
Quels matériaux sont à proscrire dans une optique de réparabilité ?
Quel niveau de standardisation des composants doit-on viser pour favoriser la réparabilité par tout un chacun ?
Un bureau d’étude ouvert
Voici exactement ce qu’il se passe pendant les réunions de conception des bureaux d’études de nos constructeurs préférés.
Ils se creusent la tête pour dresser une liste exhaustive de questions cardinales.
Et ils en sortent avec des migraines divines, exactement comme moi au moment où je vous écris ces lignes.
Mais à l’inverse de leur mode opératoire, j’ai décidé que cette conception serait menée à cœur ouvert.
Mon but ici est d’ouvrir une porte à ceux d’entre vous qui souhaitent partager leurs pensées sur un axe en particulier, ou plusieurs des questionnements que j’ai développés dans ce rapport hebdomadaire.
Comme si nous étions assis autour d’une table de réunion de plus de 200 personnes.
Et autour de cette table, nous allons partager l’expérience collective que nous vivons, de la conception d’une moto électrique à nul autre pareil.
Ce matin, cette expérience consiste à former un tissu de questions aussi dense que possible, pour ne laisser aucun angle mort à notre moto.
Mais elle se poursuivra dans les prochaines semaines, sous différentes formes. Et mon rôle sera de rassembler toutes ces informations afin de produire une synthèse aussi fidèle que possible de ce que devra être notre moto électrique. Avec un seul but : transformer le maximum de rêves en réalité, et le maximum de besoins en fonctionnalités !
Je vous attends donc sur le Club des Pionniers, dans les commentaires de ce rapport, pour lire vos sentiments sur les 41 questions qui m’occupent l’esprit.
Et avant même les retouches que vous allez me proposer, le programme des prochaines semaines s’annonce déjà très corsé.
Je n’en ai que plus hâte !
Bon dimanche,
Julien