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Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 204 pionniers.
Salut à tous,
Il y a 2 semaines, j’ai cherché la réponse à une question de la plus haute importance que se posent tous les constructeurs de motos : comment faire pour que la moto que nous concevons soit belle ?
Je veux dire que je ne suis pas dupe.
Aujourd’hui, dès que je montre une modélisation 3D de notre preuve de concept, personne ne s’exclame devant sa beauté. La seule réaction que je perçois, c’est à peine un peu plus que de la curiosité polie.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ça me paraît très insuffisant.
Nous devons donc trouver comment faire pour que notre moto électrique déclenche des émotions moins réservées. Et pour ça, il n’y a pas de secret. On doit trouver comment la rendre belle.
J’ai donc consacré un rapport hebdomadaire à ce sujet, qui m’a beaucoup appris.
Il m’a beaucoup appris car il m’a montré où nous en étions du processus design de notre moto électrique.
Et c’est très simple : nous n’en sommes nulle part.
Nous ne l’avons même pas entamé.
Car ce que j’ai appris en disséquant le processus design des constructeurs bien implantés, c’est qu’ils commencent toujours par établir un cahier des charges design.
Ils en parlent peu, tant c’est une étape laborieuse et peu séduisante.
Mais c’est aussi l’étape la plus importante de leur processus design.
Pour que notre moto électrique soit belle, nous devons donc en passer par ce long travail qui s’étale sur plusieurs semaines.
Et comme vous allez le voir, ce travail nous amène en premier lieu à valider les grands principes de design sur lesquels notre moto électrique doit reposer. Des grands principes qui sont au nombre de 9, d’après mes premières estimations.
Le cahier des charges design
Je ne suis pas expert en design.
Mais comme cette aventure un peu folle de la conception de notre moto électrique l’exige, j’ai essayé de digérer les grands préceptes du design afin de trouver une méthode bien à nous pour rédiger le cahier design de notre moto électrique.
C’est un peu notre marque de fabrique. On regarde ce qui existe déjà, on l’assimile patiemment, et on aboutit à un objet bien spécifique à notre philosophie.
C’est donc ce que j’ai fait avec les différentes méthodes de rédaction d’un cahier des charges design.
Je les ai digérées, et j’ai abouti à un exercice.
Un exercice de rédaction canalisée, que j’ai présenté aux membres du Club des Pionniers qui étaient présents lors de l'événement de mardi dernier. C’est un exercice bien à moi, qui comporte sans doute des défauts, mais qui n’a la prétention que de poser un cadre efficace à nos discussions.
Cet exercice, je l’ai pensé en 4 temps.
Le premier temps, c’est l’acceptation des contraintes techniques auxquelles notre moto électrique ne pourra pas se soustraire. Et comme nous parlons de moto électrique, ces contraintes techniques se situent toutes dans le groupe motopropulseur.
Si on les condense à l’extrême, voilà ce qu’on sait des caractéristiques de notre groupe motopropulseur :
Il développe 15 kW en pic ;
Il fonctionne à 60V ;
Et il embarque 10 kWh de batterie.
Le principe de ces contraintes techniques, c’est qu’on ne peut pas y toucher.
On a en effet validé leur pertinence au cours de la conception de notre preuve de concept, dont le but était justement de se fixer sur un groupe motopropulseur.
Mais la fixité des caractéristiques techniques de notre groupe motopropulseur a forcément un impact sur le design de notre moto électrique. Elle implique en effet un certain volume de batterie, une certain volume de moteur, et un certains poids.
Les contraintes techniques de notre groupe motopropulseur sont donc une toile de fond de notre cahier des charges design.
On devra constamment s’assurer qu’on ne trahit pas ces contraintes techniques.
Lorsque ce premier temps des contraintes techniques est validé, on peut en passer aux 3 temps suivants, qui se suivent de près :
D’abord, nous devons nous accorder sur les grands axes macroscopiques de l’usage auquel s’adresse notre moto électrique. Dans ces axes macroscopiques, on retrouve par exemple la sociologie de notre moto, la géographie de notre moto et l’utilisation de notre moto.
Ensuite, nous devons préciser plus microscopiquement l’usage notre moto électrique. Ici, l’idée est de faire une liste aussi longue et exhaustive que possible de toutes les exigences d’usage de notre moto. Par exemple, on doit autant préciser la philosophie de notre moto que la quantité de rangements qu’on souhaite y retrouver.
Enfin, et uniquement quand les étapes précédentes ont été validées, on peut glisser tout naturellement dans l’écriture du style de note moto électrique. Le but de cette portion du cahier des charges design est évidemment d’être cohérente avec les colonnes précédentes, tout en visant un style qui marque la rétine.
En somme, ma compréhension de l’écriture d’un cahier des charges design me fait penser que toutes les questions d’usage doivent représenter 2/3 de l’étendue du cahier des charges design, contre 1/3 pour les orientations de style.
Si bien que, oui, je l’assume : le style me paraît minoritaire dans le design d’une moto.
C’est dur à avaler, je le reconnais.
Mais j’ai l’impression que c’est aussi le point défendu par les plus grands designers et tous les théoriciens du “design thinking”. Et je crois que nombreux sont ceux qui devraient s’en inspirer quand ils conçoivent leurs motos électriques.
Quoi qu’il en soit, je n’ai plus aucun doute sur un point.
C’est que si on veut que note moto soit vraiment belle, alors on doit d’abord identifier précisément l’usage auquel elle s’adresse. Seul un effort laborieux de description de cet usage lui permettra d’être vraiment belle.
L’émulsion créative dont je vous ai parlée dans le rapport hebdomadaire sur le processus design d’une moto ne viendra qu’après ce dur labeur.
Voilà donc pour l’exercice de rédaction du cahier des charges design que j’ai créé.
Il me semble répondre à une progression cohérente et compréhensible, qui segmente les différents étapes de manière assez lisible. Je l’ai donc présenté lors du dernier événement, sous la forme d’un tableau qui en rassemble la substance.
C’est sur la base de ce tableau blanc que nous avons discuté pendant plus de 2 heures avec les membres du Club des Pionniers qui nous ont rejoints mardi dernier. Et en même temps que nous parlions, nous avons vu 9 commandements design se dresser.
Les 9 commandements design
Initialement, remplir ce tableau était l’objectif de l’événement de mardi dernier.
J’étais sincèrement confiant sur notre capacité à noircir le tableau du cahier des charges design en moins de 2h. Mais j’ai vite réalisé qu’il serait impossible de le remplir totalement en si peu de temps.
Alors en accord avec tous les membres du Club des Pionniers qui étaient présents, nous nous sommes concentrés sur la première colonne du tableau : celle qui rassemble les grands axes macroscopiques de l’usage de notre moto électrique.
Et tout naturellement, nous avons réalisé que cette première colonne nous a amenés à la rédaction de 9 commandements design très clairs, qui ont semble-t-il recueilli l’adhésion de tous les participants.
Sans plus attendre, en voici la liste.
Notre moto électrique ne doit pas être seulement destinée aux hommes.
On semble parfois l’oublier mais de nombreuses motos ne sont pas accessibles à une grande majorité de femmes. Ce qui est aberrant. Nous ne tomberons donc pas dans cet écueil. C’est un impératif qui me semble difficilement critiquable.
Notre moto électrique doit répondre aux navetteurs.
Ce sont en effet eux qui ont le plus cruellement besoin d’une solution de mobilité personnelle (car ils roulement plus de 10 km par jour) et qui pourtant n’ont accès qu’à très peu de solutions (pas de métro, pas de bus, peu de vélo).
Et leur nombre est non négligeable, car ils qui représentent entre 40% et 50% des français.
Notre moto électrique doit être massifiable.
Ce point ne dit pas que nous voulons absolument vendre des millions de motos dans les prochains mois. Il dit seulement que nous savons que pour réellement baisser les émissions de gaz à effet de serre des transports, les véhicules électriques doivent être accessibles à la majorité de la population.
C’est mécanique. Et ensuite, la mayonnaise prendra ou ne prendra pas.
Notre moto électrique doit être capable de rouler par tous les temps.
Les navetteurs cherchent un moyen de transport de tous les jours. Et tous les jours, le temps change. Ce qui implique très naturellement qu’on ne peut pas produire un véhicule qui s’adresse aux navetteurs mais qui souffre des conditions météorologiques.
Notre moto électrique doit être confortable à toutes les températures.
C’est une variation du commandement précédent, mais qui a d’autres implications. Un véhicule de tous les jours doit être aussi confortable en été qu’en hiver. Et croyez-moi, je pèse mes mots, étant moi-même frileux en moto.
Notre moto électrique doit être à l’aise sur route mais aussi dans les rues les plus serrées.
Ici, l’idée est de trouver le bon point d’équilibre qui permet de rouler sans crainte à toutes les étapes caractéristiques de navettages. On parle souvent d’usage mixte. Et c’est exactement dans ces conditions mixtes que notre moto doit être à l’aise.
Notre moto électrique doit en priorité être spécialisée sur les trajets domicile-travail.
L’idée de cette spécialisation est de constater qu’aujourd’hui, 3 français sur 4 se rendent au travail en voiture. Nous allons devoir proposer une alternative performante à ces personnes.
Notre moto électrique doit permettre les achats quotidiens.
Je pense aux achats que nous faisons tous (une pâtisserie, un colis récupéré en magasin, une recharge d’huile d’olive pour le repas du soir), et qui ne demandent pas d’avoir un coffre d’un mètre cube. Notre moto électrique doit les permettre.
Notre moto électrique doit être amusante en virées dominicales.
L’usage loisir est un usage historique de la moto. Or notre moto électrique reste une moto. Elle doit donc s’acquitter des sorties en week-end, sans frémir et en garantissant un plaisir suffisant sur les départementales françaises.
L’avis des Pionniers
Nous étions un peu moins de 30 à participer à l'événement de ce mardi.
Ce qui implique que plus de 170 d’entre vous qui liront ce rapport hebdomadaire n’ont pas eu l’occasion de discuter des 9 commandements que je viens de vous énumérer.
Ce que je vous propose est donc simple.
Dites-moi dans les commentaires de ce rapport hebdomadaire si vous pensez que ces 9 commandements design sont pertinents :
En manque-t-il 1 pour arriver à 10 commandements ?
Ou à l’inverse, y en a-t-il trop ?
Ici, ne brûlons pas les étapes : nous en sommes au début de l’écriture du cahier des charges design de notre moto électrique. Nous devons donc poser les jalons les uns après les autres, en nous assurant que nous ne nous trompons pas de direction.
Mais sachez que quand on aura validé ces 9 commandements, on ne pourra plus y toucher.
Ils seront notre boussole dans l’écriture des 2 autres étapes du cahiers des charges design de notre moto électrique, à laquelle nous procèderons ensemble au cours des prochaines semaines.
Ils seront en quelque sorte les juges de paix à chaque point de friction.
Nous devons donc les écrire en sachant, en notre âme et conscience, qu’ils ont une importance capitale.
Alors j’attends impatiemment vos retours en commentaires de ce rapport, pour savoir ce que vous — les Pionniers de cette aventure — pensez de ces 9 commandements design.
Bon dimanche,
Julien