Une occasion qui ne se re-présentera jamais
Nous sommes invités à présenter notre preuve de concept en grande pompe
Temps de lecture : 12 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 216 pionniers.
Salut à tous,
La semaine dernière, je me suis rendu chez Renault, à Flins.
Mais j’ai profité de mon périple dans ce que j’appelle “le nord” (vous ne me convaincrez pas du contraire) pour visiter Thomas et Théo à Nancy, qui sont tous les 2 membres de la première heure du Club des Pionniers. Et qui, surtout, ont développé une moto électrique qui a fait pendant l’été ses premiers tours de roue.
Ma visite dans leurs locaux de Nancy (ou de Toul, puisqu’il faut être précis en toutes choses) a été motivée par une invitation que Thomas m’avait adressée il y a quelques semaines, de venir voir leur moto enfin à l’œuvre.
C’est donc avec le plaisir que vous imaginez que je me suis rendu chez eux.
Il faut dire qu’ils ont commencé leur aventure vaguement à la même époque que nous. Et voir qu’ils avancent aussi bien (sinon mieux) que nous est à la fois enthousiasmant et motivant.
L’après-midi que j’ai passée dans leur atelier lorrain a donc été menée sans aucun temps mort, au gré des discussions sur nos enjeux respectifs, des récits de leurs essais sur leur bécane surprenante, et des rêves de fonder un écosystème français de constructeurs de véhicules électriques.
Mais à plusieurs reprises, j’ai été gêné.
Pas qu’il y ait eu un quelconque couac avec mes confrères Nancéens.
Non, tout s’est très bien déroulé avec eux. Et ce, malgré l’absence cruelle de chauffage à cette période glacée de l’année pour l’enfant du sud que je suis.
Ce qui m’a embêté, c’est l’irruption intempestive de mon téléphone qui a coupé à plusieurs reprises nos conversations.
Je déteste ça. Le son désagréable du vibreur qui hurle en plein cœur d’une discussion me paraît aussi strident qu’une craie rugueuse sur un tableau noir. M’interrompre pendant une réunion est la garantie d’un frisson d’agacement.
Mon téléphone, donc, m’a importuné à plusieurs reprises pendant que je rendais visite à Thomas et Théo.
D’habitude, ces dérangements auraient été un non-événement irritant que j’aurais oublié aussitôt.
Mais comme vous le pouvez le lire via vos yeux à peine réveillés d’un dimanche matin paresseux (je vous le souhaite en tout cas), j’en fais tout sauf un non-événement. J’en fais même l’introduction de mon rapport hebdomadaire, ce qui en dit long.
Ces coups dissonants de vibreurs ont donc eu plus d’importance qu’à l’accoutumée.
Et c’est peu dire. Car aussi incommodants qu’ils aient pu être, il a suffi que je décroche le téléphone lors du 4ème appel de l’interlocuteur pressant (alors que Thomas me ramenait à la gare) pour que je le bénisse d’avoir insisté si pesamment.
Il paraît qu’il suffit parfois de répondre à un seul appel pour voir sa vie modifier sa trajectoire à tout jamais.
Qui sait, peut-être que cette fable populaire vient de frapper à notre porte.
L’appel de mon responsable technique
Je connaissais bien celui qui m’attendait impatiemment au bout du fil.
Je l’ai en effet côtoyé pendant les quasi-5 ans de ma thèse. Car c’est celui qui a impulsé mon sujet de thèse, en convaincant son entreprise CGR International de financer un doctorant qui rêvait jour et nuits de science des matériaux.
Manque de chance, il est tombé sur moi.
Il pensait qu’en 3 ans, je saurais lui donner les réponses qu’il attendait. Et le temps passant, il a fini par comprendre que je me partageais entre plusieurs priorités, ce qui a conséquemment allongé le délai prévu initialement.
Mais il ne m’en a pas tenu rigueur.
Il m’a solidement défendu pendant ma soutenance de thèse lorsque le jury m’a chahuté sur la pertinence industrielle des travaux que j’avais menés. Il s’est même agacé de cet affront, qu’il a lavé avec sa verve phocéenne dont les méditerranéens ont le secret.
Autrement dit, on s’estime mutuellement.
On a instauré une relation de confiance et de transparence :
Il savait que ma thèse n’était ni ma passion ni mon horizon indépassable ;
Mais il savait aussi que je ferais le maximum pour produire des résultats significatifs pour aider son entreprise.
Il était donc au courant, mieux que quiconque dans mon encadrement, de l’existence d’Ambre et de l’aventure que vous suivez.
Ça, c’était la teneur de notre relation jusqu’à son appel de la semaine dernière.
Puis il y a eu l’appel :
— Salut Julien, tu te rappelles de la dernière fois, où je t’avais parlé de mon projet de me relancer en tant que pilote de rallye ?
— Oui, bien sûr !
— Eh bien je vais participer au rallye Monte-Carlo, et j’aimerais présenter ta moto électrique là-bas. Elle est prête ?
— Oui. Enfin non, pas encore. Mais elle le sera !
— Alors je t’y invite. Parlons-en dans les prochaines semaines.
La discussion a été aussi rapide — Thomas pourra en témoigner, qui était dans la voiture au moment de cet échange.
Et au cours de cette discussion d’à peine quelques minutes, la feuille de route des prochains mois s’est modifiée, pour emprunter une trajectoire tout à fait nouvelle.
Je l’ai senti immédiatement. Car à peine m’avait-il partagé son idée qu’un frisson a parcouru mon échine et que mon souffle s’est raccourci. On a chacun sa boussole à identifier les changements de polarités, la mienne est dans mon dos et sous mon sternum.
J’ai donc pris une grande inspiration, j’ai salué Thomas, et je me suis m’installé dans le TER qui rejoignait Nancy. Un trajet que je n’ai pas vu passer, suivi d’un autre trajet en TGV rejoignant Paris, et qui s’est lui aussi écoulé en une fraction d’éclair.
J’étais trop occupé à détricoter cette invitation pour en saisir les implications.
Une invitation pour Monte-Carlo
Voilà l’idée.
Le rallye Monte-Carlo se déroule sur toute la semaine du 22 janvier 2024. Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter son contexte médiatique, puisque c’est sans doute le rallye le plus emblématique de France.
Un rallye si emblématique que pendant quelques jours, tous les ans, tous les médias automobiles ont les yeux rivés sur cet événement. Ce qui n’est probablement pas étranger aux réceptions luxueuses qui attendent les journalistes qui se rendent à Monaco pour cet événement.
Pour être tout à fait transparent, je n’ai jamais été sensible à ce genre de courses.
Je ne me suis que très rarement intéressé à la Formule 1, au MotoGP, et au WRC. Les sports mécaniques, malgré tous les efforts déployés par Netflix, ne me provoquent donc aucune autre émotion qu’une vague satisfaction quand un français est champion.
D’autant que si l’on se regarde droit dans les yeux, on ne peut que reconnaître que les sports automobiles contemporains ne sont pas les plus activités les plus respectueuses de l’environnement.
Alors jusqu’à présent, je ne regardais ces événements que d’un œil très distant.
Mais vous l’avez compris, cette relation neutre vient de changer de polarité.
Car si je ne vais pas du jour au lendemain me métamorphoser en un amoureux des sports mécaniques, je suis invité à participer à l’une de ses grands-messes.
Et mieux que d’être invité à y participer, je suis invité à y communiquer. Puisque mon responsable technique m’a à la fois proposé de montrer notre moto à Gap (au départ donc) et de tenir une conférence de presse à Monaco quelques jours avant le départ.
Sa proposition est de faire un marché gagnant-gagnant.
Lui, qui roule sous les couleurs de CGR International (entre autres sponsors) s’offre une publicité étonnamment séduisante pour ce genre d’entreprises, en montrant que son laboratoire est capable de produire des innovations (de près ou de loin).
Et nous, en échange, avons accès à une tribune assez exceptionnelle pour faire passer notre message à tous les médias automobiles, ainsi qu’à des acteurs de la mobilité, mordus de rallye.
Cette tribune a été pensée pour être exploitée en 2 temps.
D’abord, le jeudi 25 janvier, où on invite par le biais d’un chargé des relations presses tous les médias spécialisés dans l’automobile à une conférence de presse. Pour la première fois, nous dévoilerons publiquement notre preuve de concept.
Une preuve de concept que vous connaissez bien, et qui est le premier véhicule équipé du groupe motopropulseur que nous concevons depuis 3 ans.
Cette preuve de concept dévoilée permettra donc de montrer notre savoir-faire, et de donner à notre groupe motopropulseur la lumière qu’il mérite.
(Je rappelle ici que notre groupe motopropulseur, qui est notre grande innovation, est équipé de modules de batteries de Renault Zoé de seconde vie, et d’un moteur à induction. Ce qui est inédit.)
Et lorsque nous aurons suffisamment mangé de petits fours à l’hôtel Port Palace, nous passerons au deuxième temps.
Ce deuxième temps sera quant à lui consacré à montrer plus spécifiquement notre preuve de concept aux passionnés de rallye. Ceux qui sont suffisamment passionnés pour parcourir les 300 km qui séparent Gap de Monaco et ainsi se rendre au départ du rallye.
Si le premier temps est une caisse de résonance, le deuxième est un temps spécifique.
Il se consacrera à présenter, encore et encore, notre conception à ceux qui auront le regard suffisamment attiré par cette inattendue moto électrique. Là-bas, nous croiserons les patrons d’écuries, les anciens pilotes, et les mordus de rallye.
Ça sera un bouillon de culture chaotique, dont les résultats semblent difficiles à prévoir. Mais nous le savons, c’est dans un bouillon de culture originel que la vie s’est miraculeusement agrégée.
Alors sans savoir ce qu’il en sortira, nous savons qu’il pourrait en ressortir le meilleur.
Mais pour que tout ça se réalise, nous avons une moto à finir.
Une preuve de concept incontestablement séduisante
Avant de concevoir une moto électrique, c’est un groupe motopropulseur que nous avons conçu.
C’est pour cette raison que sur les derniers mois, j’ai beaucoup plus concentré ma conception sur la version industrielle de notre groupe motopropulseur que sur notre preuve de concept. Car le métier d’Ambre consiste d’abord à concevoir un groupe motopropulseur.
Le problème de ce métier, c’est qu’il n’est pas sexy.
Il n’est pas désirable.
Il est efficace et nécessaire, au même titre que celui de Valeo, de Vitesco et de Mahle, qui conçoivent des groupes motopropulseurs depuis des décennies.
Mais en contrepartie, ces acteurs dont nous nous inspirons pour développer notre modèle économique ne sont connus que des initiés. Ils sont confidentiels, et mal compris du grand public.
Et par la brume qui les entoure, ils n’arrivent que très rarement à faire du bruit.
Nous, avec notre petite entreprise émergente, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas faire de bruit. Car si nous ne crions pas notre message suffisamment fort, nous prenons le risque de nous noyer dans le silence.
Alors le temps est venu de faire du vacarme.
Et la seule manière de faire résonner notre voix, ça sera de montrer une preuve de concept incontestablement attirante, qui envoutera les regards des journalistes et des passants afin de marquer indélébilement leur mémoire de l’empreinte Ambre.
Monte-Carlo, en ça, est une occasion en or qui ne se présentera pas 2 fois.
Une occasion que nous allons saisir comme nous nous devons. Mais pour la saisir, nous allons devoir nous reconcentrer sur notre preuve de concept.
Car aujourd’hui, elle ressemble à ça :
Une carcasse nue qui semble avoir été dessinée par George Miller afin d’équiper les guerriers sanguinaires de Mad Max. On pourrait considérer que c’est un style comme un autre — et que quand nous aurons assemblé tout le groupe motopropulseur sur cette carcasse, nous aurons une moto marquante.
Mais à mes yeux, ça serait commettre une erreur.
Cette moto devra être incontestablement séduisante. Incontestablement, c’est le mot-clé de son nouveau mantra. On ne pourra donc pas se permettre de livrer une moto post-apocalyptique qui sera certes marquantes mais aussi blessante pour la rétine.
Alors la conception purement mécanique étant terminée depuis bien longtemps sur cette preuve de concept qui prenait la poussière, le moment est venu de dessiner son enrobage.
C’est ce que je vais faire, dans les prochaines semaines.
Avec une orientation que je vais vous proposer dimanche prochain, qui sera aussi audacieuse que risquée. Une orientation qui m’a été suggérée au cours d’une conversation avec un designer espiègle.
Je vous en reparle dimanche prochain, car j’aurai besoin de vous pour mettre en branle la boite collectives à idées.
Mais d’ici là, j’ai bien envie de connaître votre sentiment sur cette nouvelle.
Est-ce que vous aussi, vous y voyez un tournant important de notre aventure ? Après être restés tapis dans les herbes ocres de la savane pendant si longtemps, notre heure ne serait-elle pas venue de bondir maintenant que nos armes sont affutées ?
Je vous laisse me donner vos retours en commentaires de ce rapport hebdomadaire :
En en attendant de les lire, je vous souhaite un très bon dimanche !
Julien
Salut à tous, salut Julien,
Je trouve ta décision d’aller présenter ce projet très courageuse voire risquée.
Je m’explique :
Je suis allé au salon époqu’auto car même si je suis tourné vers l’avenir, je ne renie pas l’histoire et l’origine de mon gout pour la mécanique.
J’ai quand même ressenti dans ce salon une certaine défiance vis-à-vis de la mobilité électrique.
Alors j’imagine (j’espère à tort) que la présentation de la PDC sur un évènement comme le rallye Monte-Carlo risque d’être un peu décalé…
Sur l’esthétique de la PDC, je pense qu’elle va obligatoirement pécher au niveau de la transmission car la couronne est très grande et cela nuit à la fluidité de la ligne générale de la moto. Cela alourdit l’arrière et donne une impression de « petite roue de scooter ».
Je sais que c’est inévitable au vue des caractéristiques moteur, mais je crains que ce détail fasse du mal au jugement subjectif des visiteurs qui ont bien souvent un œil aiguisé dans ce genre d’épreuve.
J’aurais réservé la présentation de la PDC à un public moins passionné même s’il sera plus dirigé sur l’automobile que la moto.
Electric Motion par exemple, en ajoutant une transmission primaire par courroie, a répondu au problème de belle façon.
J’en profite, n’en ayant pas eu encore l’occasion, pour te faire savoir que cette remarque est aussi valable pour le proto et pas que d’ailleurs, puisque des motos (Zero, Ryvid) mises sur le marché souffrent de ce même problème.
Je sais que tu chasses à juste titre le poids, la réduction de pièces, les pertes de rendement au maximum possible et je vois aussi qu’il n’y a plus guerre de place pour mettre une transmission primaire et tout cela me chagrine…
Peut-être un train réducteur épicycloïdale en sortie d’arbre moteur si l’espace le permet?
Peut-être aussi est-ce moi qui exagère les conséquences sur le sujet si l’on considère que cette machine sera destinée à un plus large public que celui des motards.
Peut-être ne suis-je pas, comme beaucoup de gens, encore assez tourné vers le futur avec ses nouveaux codes ?
Ceci étant, je suis convaincu qu’actuellement, plus la moto finale ressemblera a une moto traditionnelle, avec s’il le faut une touche de modernité, plus elle aura de chance de se distribuer.
Si je devais résumer en m'appuyant sur les commentaires précédents, préconisant la prudence, tant sur la préparation que sur les retombées, à l'aide d'une autre référence : "[...]Oublie que t'as aucune chance, vas-y ! Fonce ! Sur un malentendu ça peut marcher."
C'est une vitrine offerte sur un plateau, profitons-en au mieux !
Pour le design, ma préférence va vers les rondeurs, de la ligne, c'est pas parce que c'est électrique qu'il faut faire du cubisme
Bon sprint !