Les 48V pas si intéressants de Tesla
Qui cachent néanmoins une boite noire fascinante
Temps de lecture : 11 minutes.
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Note préliminaire : la newsletter hebdomadaire vient de se décaler au vendredi soir.
La raison de ce décalage, c’est que je voyais un déséquilibre entre les rapports hebdomadaires du dimanche matin que j’envoyais aux membres du Club des Pionniers, et les newsletter hebdomadaire du mercredi.
Les rapports hebdomadaire demandaient jusqu’à 16-17 minutes d’une lecture attentive, alors que les newsletters hebdomadaires étaient plus légères et moins structurées. Trop légères, et trop peu structurées, d’après moi. J’ai donc décidé d’équilibrer tout ça.
Salut à tous,
Il y a quelques semaines, Tesla a fait grand bruit en révolutionnant un secteur insoupçonné.
Je dis insoupçonné car vraiment, ce secteur est celui des puristes des véhicules électriques — au même titre que ceux qui ne jurent que par le taux de rafraîchissement de l’écran de leur nouveau smartphone.
Je parle de leur annonce sur l’abandon du 12V au profit du 48V.
Cette annonce a fait couler une quantité extraordinaire d’encre. C’est comme si, pendant 2 semaines, tous les journalistes automobiles et les passionnés du domaine s’étaient rassemblés pour ne parler plus que de ça.
Ce qui nous a gratifiés de titres amusants, dont certains journalistes ont le secret. Mon préféré, sans aucun conteste, est celui qui nous explique en quoi “l'adoption par Tesla d'une architecture électrique de 48V change la donne dans l'industrie”.
Pourquoi m’en amuser autant ?
Parce que son enthousiasme communicatif cache un secret que le journaliste qui a rédigé cet article n’osera jamais avouer : c’est qu’il n’a appris que très récemment l’existence d’une séparation entre ce que l’on appelle le “circuit haute tension” d’un véhicule électrique et son “circuit basse tension”.
Et je suis prêt à parier une bonne partie de ma fortune (bien modeste, j’en conviens) que c’est le cas de l’écrasante majorité des personnes qui s’intéressent à la mobilité électrique.
Une majorité de personnes qui ont découvert avec cette annonce qu’il y avait auparavant une batterie à 12V, que Tesla propose de passer à 48V. Et qui, depuis, n’ont pas très bien compris pourquoi diable cette batterie était nécessaire.
Aujourd’hui, je vous propose de faire l’inverse de tous ces spécialistes du scoop.
Et plutôt que d’essayer de vous expliquer pourquoi l’idée de Tesla est géniale (elle l’est sans doute), je vais essayer de vous partager ma compréhension du sujet.
Un sujet qui m’a bien occupé, puisque nous avons eu quelques démêlés sur ces dernières semaines avec le circuit 12V de notre groupe motopropulseur. Mais ça, c’est un autre sujet.
Un sujet dont je parlerai plus en détails ce dimanche aux membres du Club des Pionniers.
2 batteries, 2 circuits
Toutes les prochaines voitures Tesla auront 2 circuits.
Un circuit basse tension à 48V ;
Et un circuit haute tension à 800V.
Si bien que si l’envie me prenait de dessiner l’architecture des 2 batteries utilisées par la marque américaine (et elle m’a pris), je la dessinerais ainsi :
Ça, c’est à peu près ce que tout le monde sait.
Hélas, je suis d’ores et déjà dans l’obligation de corriger ce que tout le monde sait. Cette image qui se concentre uniquement sur les 2 batteries de la Cybertruck ne sert à rien. Elle n’est que très partielle, et n’apporte aucune information.
Non, l’image qui serait plus juste est la suivante :
Dans cette image, on parle plutôt de circuits.
Car en réalité, les batteries seules ne nous intéressent pas. Elle ne se contentent pas d’exister. Elles sont là pour alimenter tout un circuit, afin de mettre en mouvement le monstre américain.
Cette image montre donc une première nuance à comprendre, dans ce sujet absolument pas passionnant qui a pourtant déchaîné les passions : il ne s’agit pas de batteries 48V et 800V, mais de circuits 48V et 800V.
Et ces 2 circuits ont 2 rôles primaires très différents :
Le rôle primaire du circuit à 48V est d’alimenter tous les accessoires du colosse d’acier (ainsi que ses capteurs par millions — j’exagère ?). À partir d’ici, j’appellerai ce circuit 48V le circuit “accessoires”.
Et le rôle primaire du circuit à 800V est de faire bouger les gigatonnes de métal embarqué, en reliant la batterie titanesque au moteur surpuissant.
Ce n’est qu’en orientant le sujet de cette manière qu’on comprend le choix de Tesla.
Les pertes par effet Joule
En orientant la question de cette manière, on comprend immédiatement à quel point ce choix flirte avec l’anecdotique : Tesla s’est seulement concentré à améliorer le rendement de son circuit “accessoires”.
Car les ingénieurs de chez Tesla connaissent leurs bases.
Ils savent que pour transmettre une même quantité de puissance, multiplier par 4 la tension permet de diviser par 16 les pertes en chaleur.
La raison de cette brutale décorrélation vient de la formule de ces pertes en chaleur, qui sont appelées les pertes par effet Joule. Une formule qui résonne encore dans la tête de tous ceux qui sont passés par des courts laborieux d’électricité.
Je suis navré auprès de tous ceux qui en gardent un souvenir traumatique car je vais devoir la répéter, une nouvelle fois :
Pertes par effet Joule = Résistance * Intensité²
Lorsqu’on connaît cette formule, la suite est immédiate.
Car on sait que si on multiplie la tension par 4, on peut se permettre de diviser l’intensité par 4. Et en divisant l’intensité par 4, on réduit les pertes par effet Joule par 16 (4 au carré).
Ce qui permet de drastiquement améliorer le rendement du circuit “accessoires”.
Tesla a donc fait ce que Tesla fait le mieux : revenir aux lois de la physique. Et par là, redéfinir un standard qui n’était plus si pertinent, que tout le monde utilisait plus ou moins par habitude. Ça n’a rien de révolutionnaire, c’est seulement bien pensé.
Ainsi, le sujet 48V est un sujet quasi-technocratique, finalement pas si intéressant.
Tesla s’est contenté d’améliorer l’alimentation de ses accessoires, ce qui n’est pas bête mais absolument pas passionnant. À mes yeux, c’est à peu près équivalent à se prendre de passion pour un changement de point-virgule sur le Cerfa N°13750-03.
En revanche, il y a un sujet qui me semble un peu plus passionnant derrière cette apparente insipidité technocratique. Un sujet qui donne un peu plus de chaleur à l’existence des 2 circuits que nous venons de voir.
J’ai nommé : la dépendance existentielle de ces 2 circuits.
L’un sans l’autre, ils ne fonctionnent pas. Mieux, si vous videz le Cybertruck de ses essuie-glaces, de toutes ses caméras, de son ordinateur de bord et de tous ses autres composants périphériques, vous aurez toujours besoin de sa batterie 48V.
Alors même que vous venez de lui retirer ce à quoi elle était primairement destinée.
Passionnant, non ?
La sécurité avant tout
Revenons à notre monstre de science-fiction.
Et imaginons qu’on lui a retiré absolument tous ses accessoires. Je sais que faisant ça, on prive les dévots de leur objet de culte. J’en conviens, c’est brutal. Mais disons que ce n’est qu’une expérience de pensée :
Le Cybertruck devient certes fantomatique, et donne l’impression d’avoir perdu sa raison d’être.
Mais malgré tout, le circuit “accessoires” de 48V est toujours bel et bien présent. Alors que pour rappel, l’expérience de pensée consiste à le vider de ses accessoires.
La raison de cette présence persistance, contre vents et marée, vient d’une boite noire dont à peu près personne ne parle. Une boite noire qui n’intéresse personne car beaucoup trop besogneuse.
Cette boite noire porte différents noms.
D’aucuns l’appellent Unité de Distribution de Puissance (“PDU” en anglais pour Power Distribution Unity), quand d’autres l’appellent le boitier de jonction. Chez Ambre, nous l’appelons le boitier d’électronique de puissance. Après tout, pourquoi pas ?
Le principe de cette boite noire est assez dévalorisant. Car son rôle fondamental est d’appuyer sur un bouton on/off. Vraiment.
Il fait évidemment d’autres belles œuvres, puisqu’il a quelques compétences. Mais en premier lieu, son rôle est d’être un presse-bouton. Ce qui, vous en conviendrez, semble assez dégradant.
Détrompez-vous !
Aussi dégradant que ça puisse paraître, c’est un rôle absolument capital. Car sans lui, le circuit 800V du Cybertruck serait en permanence en tension.
Et ça, on le refuse catégoriquement. Car à 800V, le moindre défaut peut s’avérer fatal, tant pour la voiture que pour l’humain qui la pilote. À 800V, on exige donc de vérifier la bonne santé de chaque composant avant de les mettre en tension.
Et pour ça, on a besoin d’un presse-bouton de confiance.
Un qui s’enquiert de toutes les informations sur la santé du circuit à 800V et qui, à la lecture de ces informations, vient donner leur passe-droit aux électrons qui n’attendent qu’à se bousculer dans les tresses de cuivre.
Mais pour que ce presse-bouton soit capable de procéder à ce travail d’arbitre, il doit forcément être alimenté. Et c’est à cet endroit que je retombe sur mes pattes : ce qui l’alimente, c’est le circuit “accessoires”.
Ce qui explique pourquoi, malgré l’absence totale d’accessoires, un véhicule électrique a toujours besoin d’embarquer un circuit “accessoires” à son bord :
Au-dessus, vous pouvez retrouver l’architecture électrique du Cybertruck.
Une architecture que vous êtes capables de comprendre maintenant, même si vous avez oublié vos leçons d’électricité (ou que vous n’en avez jamais pris).
Je ne sais pas si vous vous attendiez à en arriver à ce point en ouvrant votre boîte e-mail.
Mais ce que je sais, c’est que tout ça a été permis par Tesla.
Car au-delà de susciter des émotions très contrastées, Tesla a réussi à me donner un prétexte pour vous partager l’architecture d’un véhicule électrique avec un niveau de détails mine de rien assez profond.
48V, 12V, et ensuite ?
Vous l’aurez compris, je considère que ce qui importe vraiment dans l’annonce fracassante de l’irruption du circuit 48V à la place du circuit 12V n’est vraiment pas dans cette décision pseudo-révolutionnaire.
Elle ne change à peu près rien à mon quotidien.
En revanche, cette annonce aura permis de pointer l’existence absolument cruciale d’un circuit basse tension sur un véhicule électrique, sans lequel il ne peut rouler.
Par là, elle aura donné une occasion supplémentaire de découvrir tous ensemble les entrailles de ces véhicules qui semblent fonctionner par une magie fascinante.
Et elle m’aura aussi permis d’introduire cette notion “d’Unité de Contrôle de Puissance”, afin d’expliquer les déboires que nous avons connus sur notre prototype de groupe motopropulseur.
Pour cause : nous avons fait rouler la moto sur laquelle nous avons installé notre groupe motopropulseur la semaine dernière malgré une panne qui se trouvait justement dans cette boite noire.
Une panne que nous avons réparée cette semaine.
Et que je m’apprête à détailler aux membres du Club des Pionniers dans le rapport hebdomadaire de ce dimanche. Alors si ce sujet vous a passionné, les portes du Club des Pionniers vous sont ouvertes :
Car maintenant que nous sommes tous alignés sur la compréhension de l’architecture haute tension/basse tension d’un véhicule électrique, nous sommes tous aptes à nous amuser de cette panne qui nous aura causé quelques tracas.
D’ici là, je vous souhaite une très bonne fin de semaine.
Bonne journée,
Julien
P.S. : Pour rejoindre le Club des Pionniers, vous pouvez entrer votre adresse e-mail dans la boite juste en-dessous.
Merci Julien de partager ce savoir technique avec tant de poésie 🌼
Ne pas dépasser les 60V en courant continu:
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Tr%C3%A8s_basse_tension