Les constructeurs sont coupables
L'offre n'est pas corrélée à l'usage (et encore moins à l'enjeu)
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Salut à tous,
Voilà plusieurs décennies que la tendance est à l’engraissement.
Attention, je ne parle pas d’un problème de santé publique, avec l’explosion du taux d’obésité. Et je parle encore moins de l’historique enrichissement des plus riches aux dépens des plus pauvres.
(Ces sujets ne sont pas les miens, je les laisse bien volontiers à ceux qui s’y consacrent à plein temps.)
Non — je parle de l’engraissement des véhicules particuliers sur les 30 dernières années.
Et vous voyez forcément ce dont je veux parler.
Quand la voiture la plus vendue en 1990 pesait en moyenne 860 kg (la Peugeot 205), la voiture la plus vendue en 2022 affichait un score moyen de 1070 kg sur la balance (Peugeot 208 II). Soit une inflation de 24%, que tout le monde a constatée.
Tout le monde, donc, est conscient de cette évolution.
Si bien qu’il est devenu banal de se plaindre de l’escalade du poids des véhicules particuliers sur les dernières décennies. Et s’en plaindre est devenu une antienne usée jusqu’à la corde, qui ne fait plus d’effet.
Pourtant, c’est une réalité douloureuse, que nous allons devoir à un moment ou à un autre inverser.
Car s’il n’est plus à prouver que les véhicules particuliers ont vu leur masse croitre significativement, il est tout autant prouvé que la prochaine décennie devra être celle d’une sérieuse cure d’amaigrissement.
Et ce, pour diverses raisons :
On doit réduire la tension sur les ressources (j’avais traité du lithium par exemple) ;
On doit aussi réduire la consommation énergétique du véhicule à l’usage ;
Et on doit enfin réduire son prix pour le rendre accessible aux masses.
En somme, le besoin d’un amaigrissement n’est contredit par personne.
Sauf que jusqu’à présent, nous ne voyons pas l’ombre du début d’un embryon de cette tant attendue réduction massique.
Et aujourd’hui, j’aimerais m’attarder sur une hypothèse, qui me semble expliquer cette absence totale d’évolution.
Cette hypothèse est en totale opposition avec ceux qui disent que les coupables sont les usagers écervelés qui se jettent stupidement sur des SUV adipeux. Car cette hypothèse, c’est que les seuls coupables sont les constructeurs historiques.
Une première piste : l’augmentation de la puissance massique
La première piste qui me semble pointer vers cette répartition des responsabilités se trouve sur un des sites de l’ADEME. Sur ce site, on peut y retrouver mille statistiques sur l’évolution depuis 1990 du marché automobile.
Et parmi elles, il y en a une qui a particulièrement attiré mon attention : celle de l’évolution de la puissance massique des véhicules particuliers neufs.
Sans tarder, la voilà :
Ce que l’on peut observer est multiple.
Mais avant de tirer des conclusions hâtives, je crois qu’il est bon de poser quelques précautions d’usage. La première, la plus évidente, c’est la définition de ce qu’est la puissance massique.
Car je ne sais pas ce qu’il en est pour vous mais s’agissant de moi, intuitivement, je ne me représente pas immédiatement ce que cache ce terme.
Pour le ressentir, une bonne pratique consiste à regarder l’unité.
Ici, c’est le kW/tonne.
C’est-à-dire une unité de puissance divisée par une unité de masse. D’où le nom puissance massique.
Lorsqu’on a dit ça, on n’est pas plus avancé.
On vient de redire platement l’énoncé. Une tautologie aussi exemplaire qu’inutile, façon ChatGPT.
Mais on peut aller plus loin : une unité de puissance divisée par une unité de masse, c’est aussi la définition d’une densité de puissance.
Et là, je crois qu’on arrive un peu mieux à comprendre la signification de cette valeur. La densité de puissance, c’est la quantité de puissance que l’on a embarquée sur le véhicule, en fonction du poids du véhicule.
Plus notre densité de puissance est grande, plus notre véhicule est foudroyant.
C’est d’ailleurs assez linéaire :
Si mon véhicule propose une densité de puissance 2 fois supérieure à celui de mon voisin au feu rouge…
Je saurai accélérer 2 fois plus promptement que lui.
Dit autrement, la densité de puissance mesure la sportivité d’un véhicule. Plus cette densité est élevée, plus le véhicule démarrera fort, et accélèrera violemment.
Si bien qu’après cette précision, on peut poser l’équivalence entre la puissance massique et la sportivité d’un véhicule :
Une puissance massique faible implique un véhicule peu sportif ;
Et une puissance massique élevée suggère un véhicule très sportif.
Et dès lors, on peut en revenir à notre courbe.
Depuis 30 ans, d’après l’ADEME, nous sommes passés d’une puissance massique moyenne de 57 kW/tonne à une puissance massique de 69 kW/tonne. Soit une augmentation de 21% de la puissance massique.
Et puisqu’on sait que la puissance massique d’un véhicule est synonyme de sportivité, on peut conclure qu’en 30 ans, les constructeurs ont augmenté la sportivité de leurs véhicules de 21%.
Ce qui, forcément, pose question.
Est-ce que vraiment, entre 1990 et 2022, les besoins réels des usagers de la route ont collectivement pointé vers une augmentation de la sportivité ?
Est-ce que cette évolution est expliquée par l’usage, ou est-elle expliquée par un tout autre mécanisme, beaucoup plus cynique ?
Les usages de la route
Je n’ai pas trouvé d’étude permettant de comparer l’usage de route entre 1990 et 2022.
J’aurais pu agréger les résultats de diverses enquêtes, pour essayer d’en tirer des conclusions forcément biaisées par une différence de méthode de récolte des données.
Mais à la place, j’ai trouvé mieux.
Le Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires a publié en 2019 une grande enquête, comparant le comportement mobilitaire des français entre 2008 et 2019.
Et cette enquête me donne précisément ce que j’ai envie de savoir.
Car si l’on regarde la courbe de l’évolution de la puissance massique entre 1990 et 2022, on réalise que jusqu’à 2008, cette courbe a oscillé mais elle n’a pas explosé. Ce n’est qu’à partir de 2009 que cette courbe n’a cessé de monter, pour atteindre les sommets actuels.
Si l’on veut essayer de corréler l’augmentation de la puissance massique des voitures avec une quelconque évolution de l’usage, c’est cette période se situant entre 2008 et aujourd’hui qui doit nous importer.
Et ce qu’on en tire est d’une clarté rare.
Que l’on parle des déplacements locaux (<80 km) ou des déplacements longs (>80 km), l’usage de la voiture s’est réduit sur la dernière décennie.
Il est passé de 64,8% des déplacements locaux en 2008 à 62,8% en 2019.
Et de 79% des déplacements longs en 2008 à 74,6% en 2019.
Ce qui est un premier indice que l’accroissement de la puissance massique des voitures n’a pas été une réponse à un usage en croissance.
Mais on ne peut pas se satisfaire de cette comparaison, car on parle ici de proportion. Si le gâteau a grandi plus que la proportion a diminué, la taille de notre part peut justifier un accroissement de la puissance massique de notre voiture.
Hélas, ça ne semble pas non plus le cas.
Car d’après cette même enquête, la distance moyenne domicile-travail a diminué entre 2008 et 2019. Et le nombre de voyages longs en voiture n’a augmenté que de quelques pourcents.
Autant dire que l’évolution des usages mobilitaire en France (même en termes de distances) ne justifie absolument pas la montée en puissance que nous avons vue apparaître sur la dernière décennie.
Non, les français ne prennent pas beaucoup plus l’autoroute, justifiant un véhicule plus puissant.
Non, les français ne roulent pas beaucoup plus qu’en 2008.
Et non, les français n’ont pas besoin de franchir le 0 à 100 km/h en 3 secondes.
Ce qui, à la fin, ne laisse qu’une explication.
Les constructeurs ont inventé un besoin chez les usagers, qu’ils ont réussi à convaincre d’acheter des véhicules plus sportifs.
Et s’ils l’ont fait, c’est beaucoup plus probablement pour augmenter leur chiffre d’affaires en augmentant significativement le prix moyen de leurs voitures, que pour satisfaire l’usage de leurs clients.
Car s’il y a bien un chiffre qui a suivi l’explosion de la puissance massique des voitures, c’est bien leur prix.
Et par là, on comprend que si les constructeurs sont capables de faire croire aux usagers qu’ils ont besoin d’une voiture plus puissante, c’est qu’ils sont capables de provoquer n’importe quelle nouvelle tendance.
Ils ne peuvent donc plus se cacher derrière leur petit doigt.
Nous avons ce qui ressemble à une preuve formelle que le marché automobile est d’abord propulsé par l’offre, plutôt que par la demande. Les clés du camion sont donc dans les mains des constructeurs, qui vont devoir enfin prendre leurs responsabilités.
Promouvoir les véhicules légers
En 2011, Renault a produit son véhicule le plus innovant depuis des décennies : la Twizy.
C’était un véhicule en rupture totale avec l’offre automobile de l’époque. Un véhicule révolutionnaire, hélas trop en avance sur son temps.
Car après plus de 10 ans de laborieux efforts pour vendre ce quadricycle hors du commun, ils ont fini par baisser pavillon. Il fallait se rendre à l’évidence : la Twizy n’avait convaincu qu’une très faible quantité de visionnaires.
Mais 13 ans après la naissance de la Twizy, les temps ont changé.
La Citroën AMI est un succès commercial ;
Et Renault a annoncé la successeure de son premier quadricycle infructueux, avec la Mobilize Duo.
Il y a donc de quoi espérer un nouveau souffle chez les constructeurs, qui investissent dans les véhicules légers.
Certes, certes.
Pourtant, si je vous demande de me citer d’autres projets de véhicules intermédiaires annoncés par des grands constructeurs de motos, scooters et voitures, vous n’en trouverez aucun autre avec un tel niveau de succès.
Le constat est donc implacable : c’est trop peu.
Les constructeurs traditionnels n’ont pas encore suffisamment investi sur ce segment, qui est pourtant capital pour l’avenir de l’industrie automobile. Ils seraient donc bien inspirés d’appuyer sur l’accélérateur, plutôt que de poursuivre leur escalade à la puissance.
Et gageons que, quand ils se réveilleront, les constructeurs pionniers de véhicules intermédiaires seront là pour leur montrer la voie. Nous y compris, avec la solution que nous développons de notre côté, pour rapatrier la fabrication des groupes motopropulseurs en Europe.
D’ailleurs, le rapport hebdomadaire que je destine aux membres du Club des Pionniers sera justement consacré à ces constructeurs pionniers.
Car depuis plusieurs mois, nous les avons à peu près tous rencontrés. Et nous avons une idée aujourd’hui assez précise de ceux qui sont les mieux armés.
Réponse ce dimanche :
Bonne soirée,
Julien
Je voudrais revenir sur les conséquences d'une augmentation de la masse en regard du danger de mort que ressentent d'instinct les plus riches lorsqu'ils prennent la route. Pour mieux démontrer cela je suis obligé de revenir un demi-siècle en arrière lorsqu'en terminale on succombait aux délices des lois les plus élémentaires de la physique. voici ce dont je me souviens :
Lorsque 2 corps se percutent et restent incrustés l'un dans l'autre l'autre on parle dun choc mou. Dans ce cas, deux lois se mettent en place pour permettre quantifier le résultat :
👉la conservation de l'énergie
👉la conservation de la quantité de mouvement
La première s'écrit, sauf erreur de ma part :
⅐m1v1²+½m2v2²=
½(m1+m2)V²
La seconde :
m1v1+m2v2=(m1+m2)V
Ces deux équations permettent de déduire la vitesse de la boule informe des 2 véhicules encastrés l'un dans l'autre
Le résultat c'est que le gros véhicule sera un peu freiné dans sa trajectoire alors que le petit devra dans un temps très court repartir brutalement en sens inverse. Un petit désagrément pour les passagers du gros, une mort certaine pour ceux du petit.
Il y a vingt ans cette sensation d'être intouchable à bord d'un gros véhicule était déjà, inconsciemment, le motif principal d'achat des classes aisées. Un désastre selon moi au regard de l'insécurité routière. Le sentiment d'impunité, la volonté de ne pas mourir sur la route, ont poussé une à deux générations de conducteurs nantis à se procurer, impunément, des véhicules qui les protègent, des armures massives, en tuant d'autres personnes, navrant !
Bonjour à tous,
Je pense qu’il est important de nuancer un peu le propos. Je suis d’accord avec l’analyse, les véhicules sont de plus en plus lourdes et les densités énergétiques sont de plus en plus élevées. Cela traduit une évolution vers la montée en gamme mais je pense que dire que le constructeur est coupable c’est trop rapide.
Être constructeur automobile en 2020 est beaucoup plus compliqué qu’il y a plusieurs dizaines d’années. D’abord le poids du véhicule augmente en grande partie pour le besoin de sécurité. Il est pratiquement impossible de vendre une voiture si elle n’obtient pas 5 étoiles au test EuroNcap qui vérifie la sécurité active et passive de chaque nouveau véhicule avec des critères qui évoluent tous les 2 ans à peu près et qui sont de plus en plus drastiques évidemment. Cela implique de plus en plus d’airbags et des systèmes d’aide à la conduite, de détection de fatigue, d’anti-collision etc... ce poids supplémentaire fait de technologies coûteuses doit être compensé par une motorisation plus grosse (en kW, en rendement ou les 2) et vu les faibles marges (pratiquement zéro) sur les petits véhicules une option pour résister est de monter en gamme en ajoutant d’autres options et une plus grosse motorisation et des services de financement etc...
L’autre possibilité des constructeurs est bien sûr de ne pas participer à la course aux équipements et de la montée en gamme mais ce qu’on voit bien c’est que la Twizzy ne trouve pas son marché alors que les constructeurs allemands vendent de plus en plus de voiture et que PSA a prouvé qu’un 3008 SUV bien équipé et cher se vendait bien mieux que l’ancien 3008 monospace mal équipé mais au bon prix.
Si Twizzy avait été un succès, tous les constructeurs s’y seraient engouffrés. Mais les gens n’en veulent pas. Les gens veulent une bagnole dans laquelle ils se sentent bien ou ils sont tous seuls à écouter la radio dans les bouchons et pouvoir accélérer quand ça se dégage en disant à leur entourage à quel point leur voiture est plus puissante, plus confortable, plus chère.
J’ai espoir que des évolutions vers les petits véhicules légers en centre ville du moins puissent se faire, soit par le souhait des gens vers une mobilité plus durable mais j’ai des doutes. Par contre j’ai un plus gros espoir vers des contraintes au niveau local et ce sont les métropoles qui vont jouer un rôle majeur !
Vivement la revue hebdo des pionniers pour discuter des différents acteurs de la micro mobilité, c’est un super créneau et ça commence à bouger !