Le sprint précédant la halte
Et le dernier rapport hebdomadaire avant une pause estivale
Temps de lecture : 11 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 207 pionniers.
Salut à tous,
Choisir une spécialisation en école d’ingénieur est terriblement stressant.
On se dit naïvement qu’on est à un embranchement de notre existence, qui aura une influence majeure sur tout le reste de notre vie. Et forcément, face à un tel enjeu, on craint fébrilement de faire une bêtise.
C’est vrai : qu’est-ce qui pourrait arriver de pire que de se tromper d’orientation et d’en subir les conséquences pendant 42 ans ?
Tout le monde ressent ce vertige au moment de s’orienter.
Et évidemment, je n’ai pas fait exception. Quand j’ai choisi la voie du génie mécanique, je n’étais donc absolument pas sûr de mon coup. N’ayant pas grandi dans un environnement particulièrement amoureux de l’huile de vidange, je n’avais aucune certitude sur la pertinence de mon choix.
Mais lors d’un été caniculaire, cette certitude est venue me frapper.
Cet été a marqué un tournant dans ma vie de mécano. Car c’est pendant cet été que j’ai découvert avec émerveillement la vie dans une usine de mécanique. Mieux, j’y ai découvert la délicieuse discipline de l’usinage.
Lors de cet été (et de l’été suivant), j’ai en effet consacré mes 2 mois de vacances universitaires à usiner des axes de convoyeurs dans une entreprise de mécanique tarnaise.
Ça a été une révélation.
Je suis tombé amoureux du métier d’usineur (et de tous les autres métiers de cet atelier de production — soudeur, monteur, magasinier, plieur, etc.), je me suis pris d’amitié pour mes compagnons d’atelier, et j’ai scellé ma passion pour les métaux.
En somme, ce passage estival dans cette entreprise de mécanique a été une chance infinie dans ma trajectoire. Il m’a permis de m’assurer que non, je ne m’étais pas trompé au moment de cocher la case “génie mécanique” dans mon dossier de candidature.
Mais ce n’est pas tout ce que j’ai tiré de ce passage hors du temps.
J’en ai aussi tiré une tradition que je respecte quasi-religieusement depuis mon épisode d’usineur : celle de me reposer systématiquement au mois d’août.
La raison est très simple.
C’est que si j’ai adoré mon expérience en tant qu’usineur, j’en suis aussi sorti parfaitement épuisé.
Cette pause traditionnelle du mois d’août est donc devenue une sorte de revanche sur ces longs mois pendant lesquels j’étouffais dans l’atelier d’usinage.
Mon but à l’époque se limitait à obéir à un hortator assis dans le confort de son bureau climatisé, qui nous exhortait à ramer en rythme malgré la soif et la touffeur. Ce qui me valait de sculpter bien malgré moi mon summer body alors que je n’en demandais pas tant.
Comme un galérien traumatisé refuserait de s’approcher à moins de 100 mètres du littoral, le mois d’août est donc devenu un mois de repos impérieux. Un mois pendant lequel la châleur acablante de l’été est un prétexte pour se régéner des épreuves de l’année.
Or vous l’aurez noté, le mois d’août commence incessamment sous peu.
Et la semaine qui vient se s’écouler était donc la dernière semaine avant cette traditionnelle trêve estivale.
L’occasion de poser un jalon
La semaine qui précède une pause estivale est toujours l’occasion de graver une marque dans notre feuille de route.
À la manière de l’alpiniste qui profite des derniers mètres qui le séparent du premier camp de la face sud de l’Everest pour jeter un œil en arrière, avant de profiter d’un repos bien mérité. À ce moment précieux, il savoure enfin le chemin parcouru.
6 035 mètres d’altitude, ce n’est pas donné à tout le monde.
Grisé par un manque d’oxygène déjà significatif, l’alpiniste sort alors la carte de l’Everest sur laquelle il a tracé le parcours de son ascension. Et conformément à ce qu’il s’était promis de faire quand il serait arrivé à ce point, il gribouille d’une coche victorieuse l’emplacement du camp numéro 1.
Sur cette dernière semaine de juillet, c’est précisément ce que j’ai fait.
J’ai ressorti la cartographie des tâches à abattre dans notre double ascension vers la réalisation de notre preuve de concept et de notre prototype industriel, et je l’ai déployée devant mes yeux.
Si je dis que je l’ai déployée, c’est car la cascade d’événements qui la composent est si verticale que seul le format d’un rouleau de parchemin lui rend grâce.
J’ai donc déroulé la carte topographique de notre double ascension pour apprécier le chemin parcouru depuis quelques semaines.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que nous avons avancé plus que jamais.
Car si je me concentre uniquement sur les tâches qui ont été validées sur le mois et demi qui vient de s’écouler, voilà ce que contient le plan de notre grimpée récente :

Comme vous pouvez le constater, au moment de faire une halte dans notre ascension, nous pouvons nous targuer d’avoir bien avancé.
C’était d’ailleurs le thème de l’événement que nous avons organisé mercredi dernier, pendant lequel nous avons pu constater les dernières avancées dans la conception de notre prototype industriel, et dans la réalisation de notre preuve de concept.
Pour vous donner une idée, en 6 semaines, nous avons :
Validé le bon fonctionnement de tous les composants de notre groupe motopropulseur ;
Pris en main le calculateur central qui avait initialement été conçu par un membre du Club des Pionniers ;
Appris à manier les 3 protocoles de communication nécessaires pour connecter nos composants (J1772, RS485, CAN) ;
Fait dialoguer le calculateur central avec le BMS qui n’avait aucune envie sincère de collaborer ;
Apprivoisé le contrôleur et sa communication avec notre calculateur central ;
Dessiné une feuille de route pour sécuriser les approvisionnements en composants à risque ;
Préparé les outils de conception que nous allons utiliser pour notre prototype industriel ;
Démonté le moteur d’une Twizy pour le modéliser en 3D ;
Trouvé comment lui faire perdre 5 kg à moindre frais ;
Et dessiné une épure de la plateforme mécanique qui accueillera notre groupe motopropulseur sur notre prototype industriel.
En somme, une belle quantité de travail a été abattue.
Ce qui ne peut qu’appuyer notre confiance dans l’objectif que nous nous sommes fixés d’un prototype industriel roulant au printemps 2024.
L’occasion de sprinter une dernière fois
Cette dernière semaine avant la halte n’a pas seulement été l’occasion de poser un jalon sur le parcours que nous avons connu.
Elle a aussi permis de faire un dernier sprint.
Et ici aussi, je crois que l’analogie de l’alpiniste qui voit se dessiner un camp de halte est tout aussi judicieuse. Car même si je n’ai jamais gravi l’Everest, ni aucun autre sommet altitude supérieure à 2 921 m (les catalans reconnaîtront), je crois que j’ai une idée de ce à quoi doivent ressembler les derniers mètres avant le bivouac.
Les alpinistes hors pair sauront valider ou invalider mon hypothèse, mais je crois que l’alpiniste est un être humain comme tous les autres. Et quand il voit poindre un repos futur, il ne peut retenir son tropisme humain à la débauche énergétique.
Comme si l’humain, par conception, n’avait d’autre but que de vider son énergie.
En apercevant la silhouette du campement, l’alpiniste se dit que c’est la parfaite excuse pour laisser parler ses instincts primaires à la dépense énergétique en procédant à un dernier sprint.
Un sprint sans conséquence, puisqu’un repos lui succèdera.
Mais un sprint glorieux — qui fait imaginer à l’alpiniste que cet acte d’héroïsme gratuit lui vaudra sans doute une place sur l’Olympe, aux côtés des héros de l’alpinisme qui l’ont inspiré.
Si je pense savoir pourquoi l’alpiniste s’oublie ainsi, c’est car j’ai moi aussi sprinté.
Cette semaine — alors que rien ne m’obligeait à redoubler d’efforts avant le repos estival — je me suis mis en tête de finir l’épure de la plateforme mécanique de notre prototype industriel.
Et puisque ce sprint forcené agit comme un impératif catégorique, j’ai réussi à trouver le supplément d’âme pour aboutir là où je comptais arriver.
Lors de l’événement de mardi dernier, j’ai donc partagé avec ceux qui étaient présents le fichier 3D de la plateforme mécanique telle que je l’avais avancé sur les 2 premiers jours de le semaine. Nous en avons profité pour la regarder sous toutes ses coutures.
Mais moment où j’écris ces lignes, j’ai encore pu avancer sur cette plateforme.
Si bien que j’ai officiellement fini l’épure de cette plateforme.
C’est-à-dire qu’elle est entièrement conçue, qu’elle satisfait les différentes cases du cahier des charges que nous nous sommes fixé, mais qu’elle n’a pas encore été étudiée mécaniquement sous tous ses angles.
Voilà donc à quoi elle ressemble :
Comme vous pouvez le voir, rien n’est totalement fini.
Mais l’idée n’était pas de finir la conception de chaque composant. C’était de vérifier qu’on savait rentrer tous les éléments du groupe motopropulseur dans la géométrie d’un roadster avec une masse raisonnable.
La bonne nouvelle, c’est que je peux partir me reposer avec l’esprit tranquille.
Car cette épure de plateforme mécanique remplit exactement sa mission :
Elle réussit à accueillir les 4 modules de Renault Zoé ;
Le moteur à induction de Mahle ;
2 chargeurs embarqués ;
Et le contrôleur de Mahle.
Et cerise sur le gâteau, le prototype industriel pèse aujourd’hui moins de 180 kg (dans la version qui utilise les modules de Renault Zoé 40).
Du pain sur la planche
Voilà qui conclut une année universitaire 2022-2023 riche en apprentissages.
J’aurais manqué de me griller les ailes une paire de fois, mais je m’en suis miraculeusement tiré.
Et ce malgré l’accumulation simultanée de :
La rédaction de la deuxième version de ma thèse ;
Des préparations de cours que j’ai donnés en école d’ingénieurs ;
Des discussions avec les investisseurs ;
Des négociations avec les fournisseurs ;
Et des conceptions de prototypes.
En somme, si j’ai beaucoup progressé, j’ai aussi failli y laisser ma santé.
Mais tout est bien qui finit bien ! Je vais pouvoir me reposer sous les cocotiers (ou les pins, plus crédiblement) de la côte Atlantique française pour revenir avec une énergie retrouvée.
D’autant que la rentrée sera officiellement mon premier mois quasi-exclusivement consacré à Ambre. Car oui, après le recrutement de Clément (notre premier ingénieur), nous allons travailler avec un deuxième ingénieur : moi-même.
Nous formerons ensemble un bureau d’études aussi rodé que résolu à concevoir l’un des meilleurs véhicules électriques du marché.
Je vous donne rendez-vous dans quelques semaines — probablement autour de la dernière semaine du mois d’août.
Cette aventure prendra un nouveau tournant, avec l’énergie que nous aurons régénérée, et le temps décuplé que nous pourrons y consacrer. Mais chaque chose en son temps.
Car maintenant, c’est le temps du repos.
Je vous souhaite donc à toutes et à tous une très bonne semaine, et de bonnes vacances si vous avez la chance d’en prendre !
Bon dimanche,
Julien