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Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 215 pionniers.
Salut à tous,
Entre 2017 et 2022, il s’est vendu exactement 314 664 Renault Zoé en Europe.
Ces chiffres sont énormes.
La Renault Zoé a été un succès commercial aussi impressionnant qu’inattendu. Ce qui lui a valu — et c’est mérité — d’être la voiture électrique la plus vendue en Europe pendant de nombreuses années.
Quand on connait ces chiffres (et qu’on souhaite utiliser des modules de batterie de seconde vie), on comprend immédiatement que la Zoé est première voiture électrique à laquelle on doit s’intéresser. Et pour cause : puisqu’on est capable d’équiper 3 véhicules électriques intermédiaires à partir d’1 Zoé, on est capable d’équiper presque 1 million de véhicules électriques intermédiaires.
C’est un potentiel de marché colossal pour un jeune acteur comme Ambre.
C’est donc ce chemin de pensée, qui nous amenés à nouer une relation avec Indra Automobile Recycling (une filiale de Renault qui s’occupe des véhicules hors d’usage), et à spécialiser notre conception dans l’utilisation de modules de batteries de Zoé en fin de première vie.
Mais aujourd’hui, cette analyse n’est plus suffisante.
Car ce chiffre, de “1 million de véhicules électriques intermédiaires”, n’est qu’un total.
C’est une vue statique du filon dans lequel on creuse. Or comme tout gisement, la disponibilité des modules de Zoé en seconde vie n’est absolument pas statique.
Puisque pour accéder à un module de seconde vie, encore faut-il que la voiture que ce module équipe en arrive à la fin de sa première vie. Autrement dit, le gisement de modules de batteries de seconde vie est dynamique.
Et comme pour toute situation dynamique, il est d’une nécessité vitale de développer une compréhension fine du comportement du système dynamique auquel on souhaite s’intéresser.
Les meilleurs surfers n’attendent pas que la vague soit sur eux pour l’étudier.
Ils la devancent en anticipant sa formation pour se positionner dans la bonne direction et atteindre la bonne vitesse quand elle passe à leur niveau. Et ce n’est qu’en ayant ajusté leur course à la perfection avec l’onde aquatique qu’ils arrivent à la dompter.
Étant un piètre surfeur, je vais néanmoins tâcher de tirer les leçons de cette analogie pas si mal sentie.
Et gageons qu’à la fin de la rédaction de ce rapport hebdomadaire, j’aurai toutes les armes pour surfer élégamment une vague de batteries de seconde vie.
Les hypothèses de projection
D’abord, commençons par poser les hypothèses.
Car ici, il est question d’anticiper le futur. Et pour l’anticiper un tant soit peu efficacement, la technique du doigt mouillé semble avoir ses limites. À la place, je vous propose d’identifier les bonnes hypothèses sur lesquelles notre modèle de prédiction reposera.
Pour ça, la première étape consiste à observer le nombre de Renault Zoé de 2ème et de 3ème génération qui ont été vendues sur le territoire qui nous intéresse.
En Europe, cette courbe ressemble à ça :
Ça, c’est donc pour le gisement total de batteries.
Mais ce n’est évidemment pas suffisant. Car ce qui doit nous importer pour dimensionner notre outil industriel, c’est l’évolution du nombre de batteries de seconde vie de Renault Zoé. Nous devons ensuite prévoir la date de mort de toutes les Renault Zoé qui ont été vendues en Europe.
Et c’est ici qu’interviennent les premières hypothèses de notre modèle.
Car je ne vous l’apprends pas : pour l’heure, peu de Renault Zoé 40 et 50 ont rendu l’âme. Pour estimer la date de mort de toutes ces voitures aujourd’hui en pleine santé, je vais donc devoir poser quelques hypothèses.
La première, c’est la durée de vie des Renault Zoé.
Aujourd’hui, nous ne la connaissons pas. Renault, sur son site, estime que la durée de vie de ses voitures électriques se situe en moyenne entre 8 et 10 ans, allant jusqu’à 16 ans.
Et nous l’avons vu dans une newsletter hebdomadaire que je vous ai envoyée dernièrement, la littérature scientifique semble s’accorder avec ce chiffre, estimation que la durée de vie moyenne d’une voiture électrique est d’environ 10 ans.
Ça, c’est donc pour la première hypothèse.
La deuxième, quant à elle, cherche à répondre à une remarque pas plus bête qu’une autre : c’est que pour prévoir la date de mort de toutes les Zoé 40 et 50 d’Europe, ce n’est pas directement leur durée de vie moyenne qui nous intéresse.
C’est la distribution de la durée de vie des Renault Zoé que l’on veut connaître.
Car si en moyenne elles dureront 10 ans, ça n’empêchera pas certaines de mourir après 5 ans quand d’autres tiendront 15 ans.
Ce dont j’ai besoin, c’est donc d’une distribution de la durée de vie des Renault Zoé.
Et là aussi, je vais devoir me reposer sur une hypothèse — puisque cette distribution n’étant pas encore advenue, elle ne peut qu’être supputée. Pour l’estimer, mon hypothèse sera donc rapide : je vais poser que cette distribution est comparable à celle qu’on retrouve chez les voitures thermiques.
Je n’ai alors plus qu’à chercher cette information chez les voitures thermiques. Et par chance, elle est directement accessible dans l’étude que j’ai citée plus haut :
Comme vous pouvez le voir, c’est une distribution en cloche.
Ou en termes plus mathématiques, cette distribution s’approche d’une courbe de Gauss : en forme de cloche, et centrée autour de la valeur moyenne.
Sur l’image précédente, on retrouve effectivement une cloche plutôt symétrique avec :
Une proportion maximale de voitures thermiques qui durent 16 ans ;
Et à peu près autant de voitures thermiques qui durent 11 ans, que de voitures qui en durent 21.
Mon hypothèse, vous l’aurez compris, est que les paramètres de cette distribution se retrouveront pour la Zoé.
J’ai donc repris la formule mathématique de la courbe de Gauss, et j’ai cherché les valeurs qui permettaient de reproduire la même distribution, mais appliquée à la durée de vie d’une Renault Zoé 40.
Et j’ai obtenu cette distribution :
Dès lors, si on prend cette distribution de la durée de vie des Renault Zoé 40 et 50, qu’on la met dans un blender avec la courbe des ventes de Renault Zoé 40 et 50 en Europe, et qu’on tourne le bouton du blender, voilà ce qu’on obtient :
Ce qu’on obtient, donc, c’est une évolution de nombre de Renault Zoé 40 et 50 en fin de vie, sur les 20 prochaines années. Avec une augmentation très nette à partir de 2024, puis un pic en 2030, suivi d’une inéluctable chute.
Quand je parlais de surfer une vague, je crois que je n’étais pas si loin du compte.
Comment prendre cette vague ?
Continuons l’analogie de la vague.
Une fois que la dynamique de la vague a été identifiée à l’avance, le surfeur expérimenté n’en est qu’à la moitié de son chemin. Car bien que connaissant le comportement futur de la vague, il lui reste néanmoins à savoir comment l’attaquer.
Comment allons-nous donc attaquer cette vague de modules en fin de première vie ?
Eh bien, à ce stade de notre aventure, nous allons devoir le faire avec une rigueur de centimiers. Car ici, nous parlons du dimensionnement d’une chaîne d’approvisionnement en bonne et due forme. Et plus seulement d’une idée lumineuse.
Nous devons donc faire le sale métier, qui consiste à vérifier à chaque instant que notre flux d’approvisionnement est bien crédible.
Pour ça, il me semble qu’il faut commencer en n’ayant pas les yeux plus gros que le ventre. C’est-à-dire admettre que nous ne pourrons pas, dès le premier jour, récupérer tous les modules de batterie de Renault Zoé 40 et 50 en fin de première vie.
Ce n’est ni crédible en termes de capacité industrielle (puisqu’on ne devient pas un mastodonte du jour au lendemain), ni crédible en termes de partenaires d’approvisionnement (puisqu’aujourd’hui nous ne travaillons qu’avec Indra, qui voit passer 38% des véhicules hors d’usage en France).
Avoir les yeux aussi gros que le ventre revient donc à connaître nos limites.
Nos limites, les voici :
Sur la première année d’existence de notre chaîne industrielle (disons en 2025), nous ne serons en partenariat qu’avec Indra Automobile Recycling sur l’approvisionnement en modules de seconde vie.
Nous n’aurons par conséquent accès qu’à 38% des batteries de Renault Zoé en fin de première vie.
Aussi, nous nous contenterons du marché français des Zoé hors d’usage, sur cette première année.
Nous n’aurons donc accès qu’à 42% (selon Renault, sur la base des résultats de 2017) des batteries de Renault Zoé en fin de première vie en Europe.
Enfin, toutes les batteries de Renault Zoé en fin de première vie ne seront pas nécessairement en bonne santé lorsqu’elles arriveront à la casse.
Ce qui m’a valu de poser l’hypothèse (forte, sans aucun doute) que 10% des batteries de Renault Zoé en fin de vie ne seront pas réutilisables.
En somme, si on rassemble toutes ces limites, on comprend qu’en 2025, nous n’aurons pas accès à 13 574 batteries de Renault Zoé en fin de première vie — mais à seulement 1 950 batteries.
86% du gisement sur cette année sera hors de notre portée.
Ainsi, pour avoir les yeux à la bonne taille, on doit estimer année après année le taux de batteries de Renault Zoé en fin de première vie qui ne seront pas à notre portée.
C’est donc ce que je me suis proposé de faire, sur nos 10 premières années.
D’abord, sur nos 3 premières années, il me semble crédible de se contenter de notre approvisionnement exclusif chez Indra Automobile Recycling. De cette manière, on ne complexifie pas outre mesure notre chaîne d’approvisionnement.
Mais à partir de la 4ème année, nous ne pourrons plus nous satisfaire des volumes proposés par Indra.
Petit à petit, nous allons donc devoir nous lier avec d’autres acteurs européens pour avoir accès à un gisement plus conséquent. Jusqu’à se donner le droit d’accéder à 80% des batteries de Renault Zoé en fin de première vie en 2033.
Ce qui donne une projection du taux d’inaccessibilité qui ressemble à ça :
Dès lors, il ne me reste plus qu’à appliquer ces coefficients diviseurs au volume de batteries de Renault Zoé 40 et 50 en fin de première vie sur nos 10 premières années, afin d’estimer le nombre de batteries qu’on pourra espérer réutiliser :
(Je précise que ce graphique donne le nombre de batteries qui vont pouvoir équiper nos groupes motopropulseurs. Les chiffres sont donc 3 fois plus gros que le nombre de Zoé en fin de vie, puisqu’une Zoé en fin de vie permet d’équiper 3 groupes motopropulseurs de véhicules intermédiaires.)
Et voilà !
Nous avons ici, sur la base de quelques hypothèses, une photographie relativement crédible du nombre de groupes motopropulseurs que nous allons pouvoir équiper en batteries de Renault Zoé en fin de vie.
Et ce, sur nos 10 premières années.
Ça nous laisse un beau gisement, avec une possible montée en puissance tonitruante, jusqu’à dépasser 70 000 groupes motopropulseurs en 2032. Ce qui serait un résultat objectivement exceptionnel pour une entreprise née à peine 10 ans plus tôt.
La vague est donc identifiée, et la manière de la surfer semble elle aussi plutôt bien identifié.
À ce stade, mon mantra habituel me semble s’imposer : il n’y a plus qu’à.
Il n’y a plus qu’à
C’est muni de cette projection que j’ai contacté Mahle la semaine dernière, pour négocier une re-conception de leur moteur, ainsi qu’un accord sur les volumes à venir. Et j’ai fait de même avec Norsk Hydro, un gigantesque groupe norvégien spécialiste de l’aluminium et de l’extrusion d’aluminium.
Je reviendrai plus en détails sur le contenu des discussions, car elles méritent amplement un rapport hebdomadaire dédié.
Mais ce que je peux vous dire, c’est que cet effort de projection n’a pas été vain.
Car petit à petit, nous sommes en train de sécuriser ce qui est sans doute le plus difficile à sécuriser dans une aventure industrielle : les approvisionnements en composants critiques.
C’est une tâche laborieuse qui demande, comme vous l’aurez vu, de faire mille hypothèses sur le futur sans aucune garantie sur la pertinence de ces hypothèses. Et de s’accorder sur ces hypothèses avec tous nos partenaires industriels.
Mais patiemment, et grâce à l’incroyable soutien de nos partenaires, nous avançons.
Et après les derniers mois tambour battant que nous avons menés — où les idées et les concept ont fusé — nous passons dans une période de structuration de tout ce que nous avons produit.
C’est une période extrêmement excitante.
Une période où de nombreuses planètes sont en train de s’aligner. Et une période où, de plus en plus, je me dis que nous allons peut-être réaliser ce rêve fou qui m’anime depuis si longtemps.
Vous l’aurez donc compris, la météo est au beau fixe ici !
Bon dimanche,
Julien
La bonne et la mauvaise nouvelle, c'est qu'un grand nombre de constructeurs de batterie stationnaires ont fait le même calcul. Et se sont dit que la courbe du tarif d'électricité qui monte d'un côté, et la chute du prix du kWh stocké baissant de l'autre, grâce à la 2nde vie, le stockage allait désormais devenir rentable, même en France.
Sirea a ainsi signé un partenariat de distribution pour les produits BeePlanet utilisant des modules 4kWh de... Nissan Leaf (gisement plus important car plus ancien) : https://www.sireagroup.com/2023/10/16/partenariat-beeplanet-stockage-batteries-seconde-vie/
Pour le nombre de batteries à notre disposition, il faut se méfier de concurrents et peut-être avoir un contrat de fourniture annuelle minimal pour éviter la pénurie, en attendant qu’il y ai des retours de batteries à profusion, à mon avis…