La "plateformisation" d'un groupe motopropulseur
Une idée permise par la convergence des véhicules intermédiaires légers
Temps de lecture : 13 minutes.
Ce rapport hebdomadaire est destiné aux 219 pionniers.
Salut à tous,
Peu avant Noël dernier, nous avons pris le train avec Hans pour nous rendre à Nantes.
Nantes, cette ville qui subit depuis des siècles une controverse quasiment aussi épineuse que celle du nom que l’on doit donner à la viennoiserie feuilletée aux 2 barres de chocolat.
Je parle évidemment de la controverse sur l’appartenance (ou non) de la Venise de l’Ouest à la Bretagne.
Si nous nous sommes rendus là-bas avec Hans, c’était donc d’abord pour trancher une bonne fois pour toutes cette question. Ce qui, hélas, ne s’est pas couronné de succès.
Peut-être parce que nous avons été déconcentrés par le deuxième objectif de notre voyage.
Ce deuxième objectif, que d’aucuns pourraient considérer (à raison) comme secondaire, était dans la rencontre avec les membres d’un start-up studio nantais avec qui nous projetions de collaborer.
Je peux d’ores et déjà vous dire que là aussi, nous n’avons pas triomphé.
Car quelques semaines après notre visite, nous avons compris que nous n’allions pas poursuivre l’aventure avec eux. On pourrait donc conclure que cette visite nantaise a été un échec total, puisque nous n’avons rempli aucun de nos 2 objectifs.
Mais ça serait une erreur.
Cette visite nous a offerts d’identifier un trou dans notre raquette. Ou plus précisément, un manque dans la vision que nous avions de la mobilité du futur, celle qui permettra la transition mobilitaire que nous nous apprêtons à vivre collectivement.
Ce manque s’est révélé alors que nous partagions un fish & chips avec les membres de l’équipe du start-up studio. Vous l’imaginez, nous avons passé notre repas à discuter du futur de la mobilité.
Mais plus que d’en discuter, nous avons surtout été contraints de nous justifier.
Car aucun des membres du start-up studio n’avait de moto. Ils roulaient tous soit en vélo, soit en voiture. Et quand nous leur démontrions rationnellement que la moto électrique pourrait s’avérer utile dans leur usage (et dans celui de millions d’usagers), ils faisaient la moue.
Pas une moue dubitative et méprisante, non.
Une moue d’incompréhension remplie de bonne foi. Ils avaient vraiment envie de nous croire, mais ils n’y arrivaient pas. Car la moto, aussi électrique soit-elle, revêtait un imaginaire incompatible à leurs yeux avec une transition mobilitaire réussie.
À force de discussions, nous avons fini par les convaincre.
Mais hélas, nous ne les avons pas persuadés. Leur logos était conquis, mais pas leur pathos. Leur cerveau, mais pas leur cœur.
C’est alors que nous avons compris que notre compréhension du futur de la mobilité manquait cruellement d’un élément : celui du cœur. Nous avions rassemblé assez de données pour convaincre le cerveau de n’importe quel sceptique, mais nous manquions d’éléments pour persuader son cœur.
Nous avons donc compris que nous allions encore devoir travailler sur notre vision.
Et 9 mois après notre visite Nantaise, je pense que nous tenons enfin quelque chose qui a le potentiel de conquérir les cœurs.
Les motos électriques et les véhicules électriques intermédiaires : même combat
Les arguments en faveur des motos électriques, vous les connaissez.
Je les ai rabâchés bien assez souvent, et si vous avez rejoint le Club des Pionniers, c’est que vous êtes selon toute vraisemblance d’accord avec ces arguments. J’avais d’ailleurs rassemblé les 3 principaux arguments dans un rapport hebdomadaire :
Et en résumé, ces arguments étaient les suivants :
Les motos électriques permettent de réduire l’impact climatique des motos déjà en circulation en les remplaçant (4 millions de motos en France, ce n’est pas rien) ;
Les motos électriques permettent de réduire la taille des batteries nécessaires pour les déplacements quotidiens (nous pouvons produire 3 motos électriques à partir d’une Zoé en fin de de vie, et économiser 89% de gaz à effet de serres) ;
Et les motos électriques permettent d’offrir une solution mobilitaire mécaniquement moins chère (à effort industriel égal) que les voitures électriques.
Ces arguments sont imparables.
Si imparables, nous l’avons constaté, qu’ils finissent par n’aboutir à rien. Car notre périple breton (j’ose le mot) nous a bien montré qu’il ne suffisait pas de convaincre — encore fallait-il persuader.
Et pour persuader, il faut accepter l’irrationnel des gens à qui on s’adresse. Un irrationnel que de toute manière, malgré toute la meilleure volonté du monde, nous ne saurons pas infléchir.
Nous avons donc disséqué leur irrationnel, pour comprendre leur indifférence.
La solution s’est alors révélée, de manière très évidente : s’ils se laissent convaincre par nos arguments, c’est qu’ils sont d’accord avec eux. Ils appellent évidemment à l’émergence de véhicules plus petits, plus légers et moins chers que les voitures électriques actuelles.
Ce qui coince pour eux, c’est la prévalence de la moto.
Ils ne sont pas motocyclistes, ils ne prévoient pas de l’être (pour diverses raisons, de permis, de sécurité ou d’imaginaire bafoué), et ils voient comme une contrainte d’enfourcher un véhicule certes pertinent mais qui ne leur procure aucune émotion positive.
Ce qui leur parlerait, à eux, ça serait de reprendre tous nos arguments mais de ne pas les limiter aux motos électriques. Ils aimeraient qu’un monde soit possible où l’on ne devra pas nécessairement choisir entre le confort d’une voiture électrique pataude et la fougue d’une moto électrique agile.
Ils aimeraient l’émergence d’autres solutions.
Ou dit autrement, ils aimeraient la massification des véhicules électriques intermédiaires. Ceux qui se situent par définition entre la mobilité douce (marche et vélo) et la mobilité lourde (voiture).
Et évidemment, je suis d’accord avec eux !
Je défends les véhicules électriques intermédiaires depuis que je sais lire (j’exagère peut-être). Donc je ne saurais m’inscrire en faux contre leurs prérogatives mobilitaires.
Ils espèrent donc un monde (chimérique ?) où se côtoient tous types de véhicules de moins de 600 kg qui remplissent tous un usage modéré de la mobilité, et qui nous permettront collectivement de procéder à la transition mobilitaire que nous appelons tous.
Alors ne prenons pas le risque d’essayer de les convaincre de la faisabilité ou non de leur idéal.
Le cœur a ses raisons, disait Shakespeare.
Je dis : n’essayons pas de comprendre le cœur.
Tâchons de composer avec ses accès de romantisme. Et voyons s’il n’est pas possible de concilier la moto électrique avec l’image fantasmée des véhicules électriques intermédiaires tels que vus par les usagers.
La convergence des véhicules
Si je vous en parle aujourd’hui, c’est parce que je pense avoir trouvé un moyen de concilier tout ce beau monde. Et par là même, de s’adresser tant au logos qu’au pathos d’une humanité qui préfère les grandes idées au pragmatisme logique.
Ce moyen se rassemble dans une image :
Cette image est composée de plusieurs éléments.
D’abord, vous pouvez y retrouver 3 véhicules électriques intermédiaires, ayant reçu séparément un certain enthousiasme médiatique, et représentant chacun une catégorie de véhicules électriques intermédiaires :
Il y a La Bagnole de Kilow, ce quadricycle léger dont le prototype a séduit beaucoup de commentateurs ;
Il y a ensuite la Scramper d’EMGo, cette moto électrique dont j’ai fait l’éloge dans une fiche technique que j’ai rédigée à son sujet ;
Et il y a le CE-04 de BMW, ce scooter électrique qui a tout raflé sur son passage et qui est le deux-roues électriques le plus vendu en France, de très loin.
Mais sur cette image, vous ne trouvez pas seulement ces 3 véhicules électriques intermédiaires.
Vous trouvez aussi une question énigmatique, surmontant 3 flèches qui relient les 3 véhicules électriques intermédiaires que j’ai cités : “qu’ont-ils en commun” ?
Le résultat des 9 mois qui nous séparent de notre visite Nantaise se concentre dans cette question.
Une question qui rassemble toute la sève d’un long travail de discussions que nous avons partagées avec mille acteurs de ce domaine.
Cette question est comme la goutte d’huile essentielle qui s’écoule dans le flacon à distillat du parfumeur.
Une question qui peut paraître aussi triviale que cette simple goutte de distillat que récolte le parfumeur, mais qui concentre en elle-même le dénouement d’un travail minutieux.
Mais ce qui est encore plus intéressant que cette goutte d’huile essentielle, c’est la réponse qu’on apporte à cette question : ce qui rassemble ces 3 véhicules électriques intermédiaires, c’est leur catégorie juridique.
Ils appartiennent tous à la catégories des véhicules équivalents 125.
Ce qui, dès lors, ne peut amener qu’à une conclusion.
S’ils appartiennent tous à cette catégorie, ils peuvent donc être équipés des mêmes composants essentiels :
un moteur de 15 kW en pic,
une batterie de 10 kWh,
un contrôleur de 5 kW en continu,
des chargeurs embarqués de 5,4 kW,
des BMS de 100 A en continu,
et un calculateur central qui pilote tout ça.
Et ce faisant, on en arrive à une conclusion simple comme de l’eau de roche, qui concilie tous les véhicules électriques intermédiaires : c’est qu’ils ne sont différents qu’en apparence. Leur partie cycle diffère, mais leurs organes sont strictement les mêmes.
C’en est presque émouvant.
On en viendrait presque à imaginer une analogie avec l’humanité : tous différents en apparence, mais reposant sur une machinerie quasi-strictement identique. Mais je vous respecte trop pour me laisser aller à un tel lyrisme larmoyant.
J’ai mieux à vous proposer : si tous ces véhicules électriques intermédiaires peuvent être constitués des mêmes organes, une solution déjà largement exploitée chez les véhicules thermiques peut être réutilisée pour ces véhicules.
Cette solution, c’est la plateformisation.
Le principe de plateformisation
La plateformisation consiste simplement à observer que lorsque plusieurs véhicules partagent les mêmes composants, il est possible de chercher un socle mécanique commun à tous ces véhicules qui intègre les composants qu’ils partagent.
Ce socle commun est alors appelé “plateforme”, car historiquement, il avait une forme plate.
C’est cette logique de plateforme qui a permis aux voitures thermiques de largement baisser leurs coûts de production. Car cette logique de réutilisation minimise grandement les investissements industriels, puisque par défaut, elle limite les fabrications sur-mesure.
Alors si les véhicules thermiques l’ont déjà fait — et si ça a été la clé de leur succès — pourquoi ne pas récupérer leur recette sur les véhicules électriques intermédiaires qui partagent eux aussi les mêmes composants ?
L’hypothèse que je vous propose aujourd’hui d’étudier, vous l’aurez compris, c’est donc de concevoir une plateforme commune aux véhicules électriques intermédiaires, à partir des composants qui équipent déjà notre preuve de concept.
Selon cette hypothèse, je ne conçois plus seulement une moto électrique.
Je conçois une moto électrique, sur la base d’une plateforme qui pourra être aussi réutilisée sur d’autres typologies de véhicules électriques intermédiaires.
Une plateforme qui pourra être réutilisée sur d’autres modèles que nous pourrons mettre sur le marché — ou qui pourra être réutilisée par d’autres acteurs afin d’accélérer la mise sur le marché de leurs véhicules.
C’est un début d’idée que je vous avais suggérée il y a quelques semaines, en conclusion du rapport hebdomadaire que j’avais consacré au récit des efforts que Clément a consentis pour assurer l’interopérabilité de tous nos composants.
Un début d’idée qui vous avait séduits, je crois.
Mais vous n’avez pas été les seuls à être séduits par cette idée. Car Renault, par le biais de sa Refactory (que nous avons intégrée), espère aussi que nous pourrons trouver le moyen de plateformiser notre groupe motopropulseur, afin de ne plus le circonscrire aux motos électriques.
Voilà donc le résultat final de notre périple Nantais.
Il a abouti à une réflexion longue et profonde sur les limites de la moto électrique. Des limites qui ne sont pas les nôtres, mais plutôt celle du public. Et des limites que nous devons donc intégrer dans le cahier des charges de notre conception.
Ce n’est évidemment qu’un début d’idée, mais qui amène à une première conclusion : je crois que cette réflexion nous a amenés à comprendre, avec
et , que nous devons concilier notre foi dans la moto électrique avec l’envie collective de voir émerger d’autres typologies de véhicules électriques intermédiaires.Et par là, elle nous a fait comprendre que nous devions nous placer en tant que moteurs de l’émergence de ces véhicules.
Ce principe de plateformisation est encore à l’état d’hypothèse. Mais la Refactory y croit, et c’est un champ d’étude que j’aimerais explorer dans la prochains mois.
Ce champ d’étude pourrait s’avérer payant, tout aussi bien qu’infructueux.
Mais le seul moyen de s’en assurer sera justement d’explorer.
Après tout, la plateforme Dacia a bouleversé l’industrie automobile pendant les années 2000. Alors qui sait, peut-être que les années 2020 seront bouleversées par la plateforme Ambre ?
Je vous en reparlerai, évidemment, dès que je perçois une avancée importante.
D’ici-là, j’attends de lire vos commentaires. Si certains d’entre vous ont une idée, une réflexion ou une simple pensée sur le sujet, elle m’intéresse !
Bon dimanche,
Julien
Je suis très fan de cette idée, bravo !
D'autant qu'elle rejoint un peu une que j'ai eue il y a peu (et que je voulais partager à l'oral mais nous n'avons pas eu le temps lors de l'assemblé ordinaire) et que vous avez sûrement déjà eue : quid de réutiliser les modules de Zoé pour commercialiser d'autres types de solutions de mobilités telles que des trottinettes ou vélos électriques.
Après tout, ces solutions ne sont pas toujours, en fonction des usages, interchangeables avec leurs équivalents mécaniques, tout en revenant à moins chers qu'une moto, même 125 (certains vélos électriques sont stupidement chers mais les coûts d'entretien et d'assurance restent moindres que pour une moto).
Enfin, j'imagine que le soucis est plutôt technique : réarranger les cellules des modules dans un nouveau packaging (car les modules sont trop gros pour être utilisés tels quels sur ces véhicules) demande certainement une expertise tout autre ?
Bonjour à tous,
La plateformisation est un bon concept pourrait elle être meme amener à un kit de retrofit pour des vehicules plus ancien. Tel que ma suzuki GS500 de 2001, dont je reve de lui donner une nouvelle jeunesse (apres 80000 km) dont la forme du chassis me semble etre un bon candidat pour cette operation. Tout en tentant de garder une perf de vitesse acceptable (140km/h).
Nombre de vehicules vont être impacté par les nouvelles reglementations, extension ZFE comme tu l’as expérimenté @julien avec ta monture il me semble.
Ainsi cette plateformisation en plus du concept bike d’ambre pourrait s’etendre a un guide / kit de retrofit ev ?