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Cet e-mail est destiné aux 84 pionniers.
Salut à tous,
Nous sommes officiellement en recherche du moteur à induction qui équipera notre prototype.
Vous avez en effet approuvé — presque unanimement — notre plan qui consiste à tout faire pour se passer de terres rares sur notre moto.
Mais nous avons évidemment soumis cette décision à une condition.
Cette condition est simple : c’est que le moteur à induction ne ruine pas tous les efforts que nous avons fournis pour trouver des cellules de batteries de chimie lithium-ion LFP fabriquées en France (avec tous les compromis que ça impose).
Le moteur à induction n’est donc pertinent que s’il se concilie correctement avec la batterie que nous sommes en train de concevoir.
Par exemple, il n’est pas impossible que le moteur à induction soit trop volumineux, et vole trop d’espace à la batterie. Ou encore, il est possible qu’il soit trop lourd, nous obligeant à rogner sur la batterie.
Autrement dit, le moteur à induction doit répondre à la question cruciale de sa compatibilité avec notre batterie.
Et pour ne pas perdre trop de temps (car on veut être efficaces), on va devoir répondre vite.
Comment peut-on faire ça ?
Très simple : il faut dessiner notre preuve de concept de moto électrique.
Ou plus précisément, il faut la modéliser en 3D afin de voir si tous les composants qu’on a choisis rentrent bien dans le cadre de notre ZZR 600.
(Note pour les nouveaux Pionniers : la ZZR 600 est la moto thermique qui va nous servir de base sur notre prototype, pour installer le moteur et la batterie qui nous semblent les meilleurs candidats selon nos nombreux critères.)
Alors haut les cœurs, faisons ça !
Ça fait quelques mois que nous sommes sur le sujet
En réalité, j’ai commencé à me lancer en sous-marin dans la modélisation du prototype dès le moment où nous avons retiré le moteur de la ZZR 600. Ça date donc des débuts du mois de juillet.
Mais jusqu’à la semaine dernière, je n’ai fait que me casser les dents sur le sujet.
Avec le recul, je réalise que j’avais totalement sous-estimé la difficulté qui nous attendait. Je pensais en effet qu’il suffisait de quelques photos de la moto nue pour se lancer dans une modélisation 3D relativement fiable.
Il faut dire que j’avais déjà fait ça il y a quelques années pour un sujet beaucoup moins ambitieux — j’avais modélisé une paire de chaussures.
Et je croyais sincèrement que la différence entre la chaussure et la moto serait mince.
Quelle erreur ! C’était l’exact inverse.
Pour cause, une chaussure mesure 30 centimètres tandis qu’une moto mesure 7 fois plus. Quand on jouit d’un optimisme béat comme je l’ai fait pendant quelques semaines, on pense que ce n’est qu’un détail.
Mais c’est tout l’opposé d’un détail.
C’est oublier que quand on prend une photo, la lumière passe par un objectif sphérique. Ce qui veut dire que plus on s’éloigne du centre de l’image, plus l’incertitude sur les longueurs augmente.
Or comme une moto est 7 fois plus longue qu’une chaussure, les longueurs sont 7 fois moins précises.
Si bien que lorsque je prenais une photo de ma moto et que je l’ajustais pour que son empattement soit bien de 1 430 mm sur mon logiciel de 3D, ses roues avaient un diamètre aberrant.
Impossible donc de continuer dans cette direction.
Je ne pouvais donc que m’incliner : je m’étais trompé, et j’allais devoir rattraper ma naïveté rapidement. Car je savais que la modélisation 3D de la moto était un goulet d’étranglement terrible.
Et il était possible que ça bloque le projet pendant des mois.
Face à ce constat, j’ai fait la liste des choix qui nous restaient pour modéliser aussi rapidement que possible la ZZR 600 nue.
Je suis tombé sur 3 solutions, de la plus favorable à la moins favorable (c’est ce que je pensais à ce moment-là) :
Le mieux, ça aurait été de trouver une 3D de la ZZR 600 sur une banque de fichiers 3D ou à défaut, de trouver des plans de la moto.
La deuxième alternative était de faire de la photogrammétrie, qui consiste utiliser un logiciel qui digère une séries de photos de la moto depuis une cinquantaine d’angles différents, et qui en sort une modélisation 3D presque aussi fiable que celle d’un scan 3D.
Et la dernière solution, c’était de justement faire un scan 3D chez un professionnel du domaine.
Je les ai toutes essayées.
Et comme souvent, c’est la dernière solution qui s’est avérée payante.
Les deux premières solutions n’ont rien donné
J’ai donc commencé, rempli d’espoir, mes recherches pour concrétiser la première solution. C’était la solution la plus simple, car elle consistait à économiser des heures de modélisation en échange de quelques recherches sur internet.
Mais pour que cette solution se concrétise, il y avait une condition à vérifier.
Cette condition, c’était que quelqu’un se soit déjà penché sur le sujet — soit en ayant modélisé la ZZR 600 de 1998 et en ayant publié sa 3D, soit en ayant contacté Kawasaki pour récupérer quelques plans de la moto.
Manque de chance, je l’ai réalisé pendant mes recherches que la ZZR 600 n’est vraiment pas la moto la plus modélisée de chez Kawasaki. On retrouve la ZZR 900, on retrouve toutes les Ninjas, mais jamais la ZZR 600.
Le seul plan que j’ai pu trouver était une pauvre vue d’artiste, très imprécise :
Avec ça, on peut certes faire une très belle affiche dans le salon, mais on ne peut décemment pas modéliser une moto sérieuse.
Autrement dit, après 2 semaines de recherches infructueuses, j’ai dû me résigner à passer à la deuxième solution : celle de la photogrammétrie.
Mais ce changement de plan ne me changeait pas si douloureux, tant cette solution me paraissait très séduisante.
Elle consiste en effet à télécharger un logiciel de photogrammétrie gratuit, à prendre quelques dizaines de photos de la moto, puis à laisser le logiciel mouliner pour produire une 3D.
La précision des mesures n’est pas idéale, mais largement suffisante pour produire un premier design. Et puis on aurait pu imaginer reprendre des mesures fines par la suite, pour les quelques endroits critiques du cadre comme les accroches du moteur.
D’ailleurs, la cathédrale Notre Dame a été modélisée avec cette méthode pour sa reconstruction — c’est que ça doit être du sérieux.
J’ai donc foncé tête baissée dans la brèche : j’ai loué un fourgon, j’ai amené la moto dans un sous-sol de centre commercial pour avoir une luminosité maîtrisée et j’ai pris mes 50 photos au reflex, pour avoir une bonne qualité d’image.
Résultat : rien du tout.
Le logiciel m’a pondu une sorte de magma informe, qui ressemblait beaucoup plus à une taupinière qu’à une moto. Force était de constater qu’utiliser ce logiciel n’était pas si simple.
J’ai alors été confronté à un dilemme :
Soit je continuais sur cette voie pour domestiquer le logiciel mais sans garantie de succès et un temps d’adaptation probablement long ;
Soit j’acceptais de passer à la troisième solution, du scan 3D.
Le problème du scan 3D, c’est qu’il demande à être fait par des professionnels. Car au même titre que pour la photogrammétrie, il faut apprendre les bonnes pratiques pour accoucher de quelque chose de décent.
Mais je me suis rendu compte que nous n’avions pas le temps d’apprendre ça. Notre temps de cerveau disponible devait être consacré ailleurs, sur le vrai métier du concepteur de moto électrique.
Autrement dit, si je voulais procéder à un scan 3D, il fallait payer des professionnels pour pouvoir perdre aussi peu de temps que possible.
Et de ce que j’en savais, le prix d’une telle prestation n’est vraiment pas neutre.
Mais voilà, la réponse au dilemme a été vite vue. Car à ce moment-là, les discussions avec un fabricant de cellules se faisaient de plus en plus resserrées, et nous avions un besoin de plus en plus pressant de connaître le volume disponible pour la batterie.
Il me fallait donc choisir la solution la plus rapide.
J’ai donc été contraint de passer à la troisième solution du scan 3D, avec la conscience que ça allait certainement coûter très cher.
Mais je n’avais pas prévu que parfois, la vie était faite de bonnes surprises.
Un scan 3D en 3 jours et à prix coûtant
Avant de vous donner le fin mot de l’histoire, quelques précisions sur le scan 3D : c’est une technologie qui consiste à utiliser une sorte de pistolet pour envoyer un faisceau laser contre l’objet qu’on veut modéliser, et qui enregistre les coordonnées des millions de points mesurés sur l’objet.
C’est donc une technologie relativement à la pointe, et très chère.
Qu’à cela ne tienne, il fallait que je tente le coup.
J’ai alors tapé sur internet une requête toute simple : “métrologie Toulouse”. Après quelques coups de scroll, je suis tombé sur le site de CML Métrologie, qui semblait faire l’affaire.
Ni une ni deux, je les ai appelés puis j’ai présenté mon besoin.
Et surprise, ils étaient emballés.
D’abord car Guillaume Bernardin, mon interlocuteur, a fait ses études à l’INSA Lyon. Ayant passé mon diplôme d’ingénieur à l’INSA de Toulouse et suivant mon doctorat au même endroit, ça a eu le mérite de créer une proximité entre lui et moi.
On appartenait à la même famille d’ingénieurs, que l’INSA désigne pompeusement comme les “ingénieurs différents”.
Mais la vrai raison de son enthousiasme n’est pas là.
La vraie raison, c’était sans aucun doute notre projet.
Il m’a dit en effet que les techniciens adoreraient faire un scan de cette moto, car ça les sortirait du quotidien aéronautique qui est le leur (ils sont plus habitués à répondre aux demandes d’Airbus, de Latécoère et de Safran).
Si bien qu’il m’a proposé de me faire payer le minimum : 480 € pour un scan de la moto.
C’était inespéré !
Le tarif normal est entre 2 fois et 3 fois celui-là. Et puis son enthousiasme était tel qu’il m’a proposé de lui amener la moto le lendemain de mon appel (ce que j’ai évidemment fait), et de me renvoyer le fichier 3D le surlendemain.
Autrement dit, l’affaire était close en à peine 3 jours, nous permettant de passer à l’étape suivante de la modélisation 3D du prototype, non moins excitante. Mais chaque chose en son temps — je vous en monterai plus dans quelques semaines.
Quoi qu’il en soit, voilà ce que m’a envoyé CML Métrologie :
Un superbe fichier 3D, avec un niveau de précision à 6 centièmes de millimètre, que nous n’aurions jamais égalé par ailleurs.
Et même si je craignais de dépenser de l’argent pour cette étape, les 480 € auraient difficilement pu être mieux utilisés :
Ils nous ont en effet permis d’embrayer rapidement sur la modélisation du prototype, alors que jusqu’à présent on bloquait sur ce détail ;
Ils nous ont donné un nouveau partenaire, très intéressé par ce projet et qui pourrait nous aider à l’avenir pour dieu sait quoi ;
Et ils nous permettront de ne pas avoir de mauvaises surprises lors du montage de notre batterie sur son cadre, grâce à la précision du scan.
Il ne reste donc plus qu’à passer à la suite.
Car si cette modélisation 3D a été une odyssée en elle-même, elle ne sera pas la dernière. Avec cette moto électrique, on pourra dire qu’on sera littéralement tombés de Charybde en Scylla.
Bon dimanche,
Julien
P.S. : Voilà exactement le genre de choses que nous pouvons nous permettre grâce au Club des Pionniers. Car pour payer ces 480 €, je me suis en partie appuyé sur les cotisations des Pionniers — et elles nous ont évité une dépense qui aurait pu peser sur nos budgets.
Au fait il a un nom ce proto? La V7 ....? :-)
C'est une super belle nouvelle ! Le temps mit, le prix correcte et le contact en plus ! Woow !