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Cet e-mail est destiné aux 82 pionniers.
Salut à tous,
Mercredi dernier, le 7ème événement du Club des Pionniers a eu lieu.
Lors de ce rassemblement, j’ai présenté aux Pionniers qui étaient présents les différentes technologies de moteurs électriques à notre disposition pour équiper notre premier prototype. Et sans surprise, ce rassemblement a été passionnant.
Mais il l’a tant été qu’aujourd’hui, j’ai besoin de vous.
En effet, vous l’avez certainement lu dans le compte-rendu de l’événement : j’ai besoin que tous ceux qui liront ce rapport hebdomadaire me fassent un retour sur ce que je vais vous présenter ici.
Ça pourra être un commentaire court de quelques mots, comme un commentaire long de 8 paragraphes.
Ça sera selon votre envie, votre confiance dans ce que vous pensez, et votre niveau d’alignement avec le plan dont je vais vous parler.
Mais pourquoi en venir à un tel appel, dont la solennité frise le ridicule ?
Pour une raison simple : c’est que lors du rassemblement de mercredi dernier, les discussions que nous avons eues m’ont poussé à réfléchir à beaucoup de choses sur notre projet.
Et si le choix de la technologie du moteur me paraissait évidemment important avant ce rassemblement, notre conversation m’a montré à quel point ce choix était décisif.
Car en vérité, ce choix nous impose de nous accorder sur ce que représente notre prototype.
Mais avant d’en venir à ces considérations passionnantes, il faut que je vous raconte le déroulé de ce rassemblement qui restera dans les annales.
Les acteurs : 4 moteurs, ou plutôt 2
Comme pour chaque événement, nous avons commencé par proposer aux néo-Pionniers de se présenter. Ensuite, nous vous avons dressé un rapide bilan du mois d’août.
Puis nous avons enchaîné sur l’ordre du jour : le moteur électrique.
Ou plutôt les moteurs électriques. Car pour choisir la technologie de moteur électrique qui équipera notre prototype, il a d’abord fallu faire une liste des moteurs électriques qui s’offraient à nous.
J’ai alors présenté une liste de 4 moteurs :
Le moteur brushless, que vous connaissez bien ;
Le moteur à réluctance variable à aimants permanents, qui équipe la Model 3 de Tesla ;
Le moteur à réluctance variable sans aimants permanents, qui n’équipe personne mais qui me plaît beaucoup ;
Et le moteur à induction, dont je vous ai largement parlé dans cet article (dont je vous avais chaleureusement conseillé la lecture).
Après cette présentation aussi exhaustive que courte, j’ai embrayé sur une pirouette.
Son objectif : augmenter la tension dramatique du rassemblement. Pour ce faire, j’ai employé la technique “Game Of Thrones”, en tuant la moitié des personnages que je vous ai présentés dans la scène d’exposition.
Car parmi ces 4 moteurs, il y en a deux qu’on peut aujourd’hui difficilement trouver sur étagères chez les constructeurs de moteurs électriques. Vous les aurez sans doute reconnus : ce sont les deux moteurs à réluctance variable.
Ces moteurs ont beaucoup d’avenir, ça ne fait aucun doute.
Mais dans l’état actuel des choses, ils sont encore trop nichés. Et on se casse déjà bien assez la tête à chercher des cellules impossibles à trouver pour notre batterie. Notre moteur devra donc être beaucoup plus facile à trouver, en étant directement disponible dans un catalogue industriel.
(Nous réévaluerons la pertinence des moteurs à réluctance variable avant la conception de notre premier modèle. Mais pour le moment, ils sont disqualifiés.)
Ainsi, choisir la technologie de moteur qui sera installée sur notre prototype revient à trancher entre seulement deux moteurs électriques :
Le moteur brushless ;
Et le moteur à induction.
Jusqu’ici, pas de grande surprise.
Car même si vous pouvez trouver que la mort des moteurs à réluctance variable est légèrement prématurée, vous savez depuis longtemps que l'éventail des moteurs disponibles ne serait pas plus vaste.
En effet, si on omet Tesla, tous les véhicules électriques du marché sont propulsés par l’un de ces deux moteurs.
Rien de très nouveau donc.
En présentant ce tableau aux Pionniers présents lors du rassemblement, je me disais par conséquent que ce rassemblement allait s’écouler sans surprise vers la conclusion qui me démange depuis des mois et des mois.
Car vous le savez, ils le savaient, je le savais : le moteur à induction me séduit terriblement.
Je pensais donc qu’après cette introduction sans aucune nouveauté aberrante, il allait être très simple de se positionner tous ensemble sur ce moteur.
Mais j’ai voulu faire l’exercice jusqu’au bout.
Alors plutôt que miser sur une innocence feinte en prononçant une phrase orientée telle que la sempiternelle “Alors les Pionniers, brushless ou induction ?”, j’ai préféré poser une question bien plus rigoureuse.
Il faut dire que même si j’avais un faible pour le moteur à induction, je savais qu’il n’était pas en tous points supérieur au moteur brushless. Je savais même qu’en moyenne, aucun des deux moteurs ne prenait l’ascendant sur l’autre.
Pour cause :
En termes de densité de puissance, le moteur brushless dépasse le moteur à induction. Si bien qu’on peut trouver des moteurs brushless de 10 kW qui pèsent 17 kg et des moteurs à induction de 15 kW qui en pèsent 36kg (la différence de poids est à relativiser par la différence de puissance, mais quand même, c’est substantiel).
Mais en même temps, le moteur à induction contient des matériaux moins chers et moins précieux, ce qui le rendrait plus abordable à effort industriel égal (aujourd’hui, les prix sont équivalents car l’effort industriel est inégal).
Sans compter que le moteur à induction ne contient pas de terres rares — à l’inverse du moteur brushless — ce qui est une très belle étiquette quand on connaît l’impact environnemental des terres rares.
Mais le problème, c’est que les terres rares ont un impact climatique presque négligeable (la production du moteur de la Model 3 de Tesla émet plusieurs centaines de fois moins de gaz à effet de serre que la production de sa batterie), ce qui laisse songeur à l’heure de l’urgence climatique.
Et si on ne regarde que les axes classiques des analyses de cycle de vie, le moteur brushless a un meilleur impact environnemental (de quelques pourcents) que le moteur à induction, grâce à son poids inférieur et son meilleur rendement (donc à ses économies d’électricité).
Si bien qu’à la fin, chacun des deux moteurs est capable de tirer son épingle du jeu.
Difficile alors de faire un choix.
Conscient de cette difficulté, j’ai proposé à ceux qui participaient à cet événement d’en venir à une seule question — qui me semblait contenir tout l’intitulé du problème : veut-on se passer de terres rares ?
Et j’ai ajouté un sous-question, pour préciser mon intention : a-t-on envie de tenter ce que personne n’a tenté jusqu’à présent, sans garantie de réussite ?
Je pensais qu’en répondant à cette question, on pourrait régler le problème avec une élégance rare. Manque de chance, je me trompais.
Et les discussions qui ont suivi cette interrogation me l’ont douloureusement prouvé.
Il ne s’agit pas seulement de terres rares ou de moteurs
Très rapidement, la question des terres rares s’est effacée.
Car les terres rares sont le lieu d’un consensus : si on peut les éviter, autant les éviter.
Et de manière assez intéressante, les discussions n’ont pas non plus porté sur les moteurs électriques eux-mêmes. Si bien que si on avait dû compter le nombre d’occurrences des termes “brushless” et “induction”, ce nombre aurait été étonnamment faible.
Autrement dit, si l’objectif du rassemblement était de choisir le moteur qui équiperait notre premier prototype, nous n’avons quasiment pas parlé de terres rares ni de moteurs.
Nous n’avons en réalité parlé que de positionnement.
C’était tellement inattendu qu’à la fin du rassemblement, je pensais qu’aucune décision n’avait été prise. Mais à la réflexion, si aucune décision n’a été prise, c’est qu’elle avait déjà été prise depuis bien longtemps.
Car ça fait au moins 2 ans que nous connaissons le positionnement de notre prototype. Et au final, vous allez voir que tout ça est terriblement évident — car tout est dans un terme qu’on utilise pourtant depuis les débuts du projet.
Mais je vais éviter d’aller trop vite.
Laissez donc moi dérouler ma pensée.
Cette question du positionnement a été évoquée par les deux Franck qui ont participé au rassemblement. Mais elle a été envisagée de deux manières différentes et parfaitement complémentaires.
En effet, (1) le premier Franck nous a conseillé de revenir au problème que nous tentons de résoudre avec notre projet, quand (2) le deuxième nous a parlé plus spécifiquement de notre prototype.
Commençons par le conseil du premier Franck — puisque c’est celui qui s’est manifesté en premier.
Clarifier notre vision
Son conseil consiste à clarifier notre vision. Cette vision, vous la connaissez bien puisque je la répète à l’envi : nous voulons participer à l’élaboration d’une mobilité plus vertueuse pour l’humain et pour le vivant en général.
Le premier Franck nous a donc enjoint d’utiliser cette vision comme un vecteur de décision. Ça a du sens, car si cette vision est sincère, alors chacun de nos actes doit y répondre.
Ce qui revient à choisir le moteur qui est le plus respectueux de l’humain et du vivant.
Sur ce point, la direction à prendre est simple : le moteur à induction est plus respectueux de l’humain, car les terres rares ont un impact tant sur les humains qui les exploitent que sur les humains des pays qui subissent une perte de souveraineté.
Quant au vivant, on pourrait se dire que les deux moteurs sont égaux. Les terres rares des moteurs brushless acidifient les océans quand l’électricité perdue des moteurs à induction participe au réchauffement climatique.
Un partout, balle au centre.
Autrement dit, le moteur à induction gagne le duel de la vision.
Et c’est très bien, car c’est exactement le chemin de pensée que j’avais emprunté jusqu’alors. Je me disais en effet que tout ce qu’on faisait devait d’abord répondre à cette vision dont nous faisions la promotion.
Mais le deuxième Franck a été plus pragmatique.
Choisir un “type” de prototype
Il a en effet souhaité nous rappeler qu’avant d’équiper une moto électrique, le moteur que nous allons choisir va équiper un prototype. Et un prototype n’est pas une moto électrique comme les autres.
C’est une moto électrique qui a un objectif très clair, dont il est bon de se rappeler pour prendre la bonne décision. Et c’est justement ce que Franck nous a enjoint de clarifier.
Selon lui, le prototype peut avoir deux rôles :
Le prototype peut être vu soit comme un concept bike ;
Soit comme le premier modèle de notre première série.
Et chacun de ces deux rôles a une influence sur le moteur qu’on va choisir.
Si on souhaite que notre prototype soit un concept bike, alors on vise l’effet wahou.
On ne cherche donc pas nécessairement à convaincre quiconque de notre capacité à industrialiser la moto qu’on a produite. On veut seulement montrer qu’il est possible de produire cette moto aux caractéristiques novatrices.
Dans ce cas de figure, le moteur à induction a beaucoup de sens.
Car le concept bike est l’éloge du jusqu’au-boutisme.
Il consiste à traiter le prototype comme un exercice pour illustrer une vision. Comme notre vision est de minimiser l’impact environnemental des motos électriques, utiliser le moteur à induction est donc une évidence sur un concept bike.
Notons d’ailleurs que ce prototype concept bike n’est plus vraiment un prototype à proprement parler.
Car dans le langage industriel, le prototype est le modèle qu’on a construit comme la dernière version avant la production industrielle. Et justement, le deuxième rôle que pourrait endosser notre prototype pourrait être celui-là.
Il ne serait évidemment pas un prototype final. Mais il serait un prototype assez ressemblant de la moto électrique que l’on vendra dans quelques années.
Cette manière d’envisager notre premier prototype est parfaitement pertinente, car elle consiste à inspirer la confiance. On n’apparaît plus comme des idéalistes, puisqu’on prouve très clairement que la moto qu’on produit est industrialisable.
Et selon ce point de vue, le moteur brushless est plus judicieux.
Car TOUTES les motos électriques ont un moteur brushless. Alors même si le moteur à induction est parfaitement industrialisable, l’image qu’on renverra en faisant sa promotion peut être moins maîtrisée — puisqu’on sera vus comme des Pionniers.
Et on sait très bien qu’avant que les Pionniers aient prouvé qu’ils ont raison, ils sont considérés comme assez peu crédibles.
Alors quoi ?
Comment faire ? Quelle vision du prototype choisir ?
Une simple histoire de vocabulaire
Pour le savoir, je crois qu’il suffit de changer de terme.
Jusqu’à présent, nous utilisons le terme “prototype” à tort et à travers. Alors même que lors de l’événement de juillet, Thomas Salquèbre lui-même nous a montré qu’on se trompait en l’utilisant aussi souvent.
Il nous a démontré que ce qu’on produit en ce moment est plutôt ce qu’on appelle une “maquette fonctionnelle”.
C’est-à-dire une première version de notre moto électrique, qui n’a pas encore élucidé tous les enjeux industriels qui l’attend.
En termes plus start-up, on parle aussi de “preuve de concept”.
(L’image ci-dessus nous avait été fournie par Thomas directement.)
L’idée de cette première production est simple, puisqu’elle consiste à construire de nos mains une machine qui vérifie nos plus grandes hypothèses.
Son but est double :
Le premier, évident, c’est de confronter notre vision à la réalité. Notre vision est de minimiser l’impact environnemental en faisant mieux que les autres ? Très bien, prouvons que c’est réalisable physiquement.
Le deuxième, induit par le premier, c’est de faire du bruit. Car si on arrive à coller à notre vision qui est pour le moins ambitieuse, on fera parler de nous. Et par là, on fera bouger les lignes en même temps qu’on attirera des fonds et des compétences pour nous aider à passer à l’étape de l’industrialisation.
Dès lors, la réponse à la question de Franck est toute trouvée : on veut produire un concept bike, car on veut produire une preuve de concept.
Ça implique donc de faire l’exercice de la minimisation de l’impact environnemental jusqu’au bout, en faisant tout pour utiliser le moteur le plus vertueux. Jusqu’à ne pas craindre les migraines qu’on se fera pour compenser ses défauts, car ce seront peut-être elles qui nous feront tomber sur des idées infiniment novatrices.
C’est d’ailleurs sur ce sujet que René (un autre Pionnier) nous a alertés lors du rassemblement.
Car faire le choix du moteur à induction, c’est s’attendre à faire des compromis. Et il n’est pas certain que les compromis qui seront induits par ce choix seront les plus désirables.
Mais l’intérêt d’aller jusqu’au bout de l’effort, c’est qu’on saura si oui ou non, se passer de terres rares est possible.
Voilà donc ce que je vous propose
Après avoir digéré toutes ces informations, je suis incapable de garantir que le moteur à induction est le moteur idéal pour notre premier prototype.
Mais ce que je sais, c’est que je dois absolument vérifier s’il l’est.
Le plan que je vous propose est donc très simple :
Nous allons chercher le meilleur moteur à induction sur le marché, celui qui affichera le plus faible écart de poids à puissance égale avec le moteur brushless.
Et nous allons essayer de l’intégrer dans la modélisation 3D de notre premier prototype.
Ça va prendre du temps. Car pour savoir si son intégration est possible, nous allons d’abord devoir concevoir la batterie.
Mais quand ça sera fait, nous saurons.
Nous saurons si le moteur à induction est trop lourd ou trop volumineux. Et s’il l’est, nous changerons de cap.
Mais d’ici là, je vais tout faire pour concrétiser votre vision — comme je donne tout en ce moment pour trouver des cellules lithium-ion LFP françaises.
Si ça vous paraît être la bonne chose à faire, j’aimerais que vous me le disiez dans les commentaires de ce rapport, sur le Club des Pionniers.
Et si vous pensez que je fabule, dites-le moi aussi — car il me semble important de connaître la proportion de ceux qui doutent de la faisabilité d’un tel projet.
Ça se passe ici :
Quoi qu’il en soit, nous ne choisissons décidément pas le chemin de moindre résistance. Mais c’est de bonne guerre, car ce faisant, nous ne sommes pas à l’abri de tomber sur quelque chose de vraiment révolutionnaire.
Bon dimanche,
Julien
P.S. : Si j’ai mentionné les cellules lithium-ion LFP françaises, ce n’est pas par hasard. Il y a du nouveau dans ma recherche, qui pourrait s’avérer très intéressant. Je vous en dirai plus quans j’en saurai plus moi-même.
Bonjour à tous,
Perso je vais faire simple et direct : je crois en une preuve de concept la plus vertueuse possible. Et je veux voir cette réalité.
Alors Go pour l’induction !
Excellente décision, voyons ce que donne le moteur à induction sur la base cycle. Allez au bout du sujet, le pragmatisme nous rattrapera s’il le faut 😜